dimanche 24 août 2014

La vérité

Je profite de cet fin d'été pour vous proposer deux articles sur des thèmes plutôt de l'ordre de la philosophie générale, mais qui jouent toutefois un rôle important en philosophie des sciences : un premier sur le thème de la vérité, et un second en préparation sur le thème de la connaissance.

La Vérité, par Jules Joseph Lefebvre
Nous avons discuté dans les articles précédents de réalisme, de relativisme et d'empirisme. Mais peut-être aurions-nous du commencer par une question plus fondamentale : qu'est-ce que la vérité ? En effet la question du réalisme scientifique (thèse suivant laquelle les objets postulés par nos théories scientifiques existent dans la réalité) est centrale en philosophie des sciences. Or on peut exprimer cette thèse très simplement : elle consiste à affirmer que nos théories sont vraies. Mais qu'est-ce à dire ?

lundi 30 juin 2014

Le problème de la mesure et l'interprétation de la mécanique quantique

John Stewart Bell (physicist) portrait
Nous avons parlé dans le dernier article du théorème de Bell qui permet d'établir que certains aspects de la nature sont non-locaux. Nous avons vu qu'il existe une tension entre ce que ça implique et un autre principe bien établi dans le cadre de la relativité, qui est qu'aucune influence causale ne peut se propager plus vite que la lumière (même si ces deux aspects ne sont pas nécessairement contradictoires).

Nous allons maintenant nous intéresser aux différentes théories et interprétations qui permettent de donner sens à cette non-localité qui caractérise la mécanique quantique. Pour suivre cette présentation, je renvoie les lecteurs à l'article précédent, et notamment à l'expérience de pensée que j'avais proposé pour illustrer le théorème de Bell, sur laquelle nous allons nous appuyer ici. Rappelez-vous : il s'agissait d'imaginer deux personnes qui quittent une pièce par des portes opposées. On leur pose ensuite une question chacune parmi plusieurs possibles, et leurs réponses sont étrangement corrélées, elles respectent certaines règles, d'une manière qui ne peut s'expliquer par une préméditation de ces réponses.

samedi 21 juin 2014

Le théorème de Bell, causalité et localité

Capricho 43, El sueño de la razón produce monstruos
Aujourd'hui j'ai décidé de vous parler du théorème de Bell.

Il s'agit d'un théorème très important en physique fondamentale, puisqu'il établit un moyen de vérifier empiriquement si les lois de la nature sont locales ou non. Si la mécanique quantique est vrai, ce n'est plus le cas. Mais ce théorème est spécialement important parce qu'il ne dépend pas fondamentalement de la théorie quantique : si la vérification expérimentale se confirme (et on peut dire que c'est quasiment le cas aujourd'hui), n'importe quelle théorie plus fondamentale qui prétendra remplacer la mécanique quantique devra s’accommoder des mêmes "bizarreries".

Autrement dit, le théorème de Bell et sa confirmation expérimentale anéantissent l'espoir qu'un jour on en reviendra à une bonne vieille théorie locale-déterministe bien comprise, et que tout ça n'était qu'un mauvais rêve...

lundi 19 mai 2014

Les lois de la nature

Dining table for two

Dans le billet précédent, nous nous sommes intéressés à la question du réalisme scientifique : les entités postulées par les théories scientifiques existent-elle réellement dans le monde, indépendamment de notre façon de les concevoir ?

Etre réaliste est une chose, mais cela ne nous dit pas de quoi est exactement fait le réel (ou, comme l'expriment certains, quel est le "mobilier du monde"), c'est à dire finalement comment interpréter le contenu de nos théories. Cette question est de l'ordre de la métaphysique, et en particulier de l'ontologie : l'étude de l'être.

Une question métaphysique

On peut dégager plusieurs grandes catégories d'entités qui peuvent prétendre appartenir aux fondements du monde : les objets, les propriétés et relations, les événements, les processus, l'espace et le temps... Le rôle de la métaphysique est d'élucider ce que recouvrent ces catégories : comment identifient-on les entités correspondantes ? Comment les caractériser (sont-elles concrètes, abstraites, universelles ou particulières) ? Quels rapports (de nécessité, de composition, ...) entretiennent-elles ? Certaines de ces catégories se réduisent-elles à d'autres, par exemple l'espace-temps à des relations, ou les objets à des regroupements de propriétés, ou à des événements ?

Il s'agit donc, en quelque sorte, de forger les outils conceptuels qui nous permettent d'appréhender le monde (et bien sûr, si l'on est anti-réaliste, on peut très bien n'y voir que des concepts).

MaryRose-carpentry tools1
Nous nous intéresserons peut-être dans un prochain article à ce type de questions, qui soulèvent certains problèmes méritant qu'on s'y attarde (notamment quand il s'agit d'interpréter la physique moderne). Mais aujourd'hui je souhaite aborder un autre sujet, connexe, qui concerne des éléments jouant un rôle central dans nos théories physiques : les lois de la nature.

Le réalisme scientifique repose en grande partie sur l'idée que la science permet d'expliquer les phénomènes du monde. Or il se trouve que la plupart des explications scientifiques reposent sur des lois (on explique la réflexion de son image dans un miroir par les lois de l'optique, par exemple). Mais alors qu'est-ce qu'une loi de la nature ?

dimanche 13 avril 2014

Les électrons existent-ils ? (2/2) Changements théoriques et réalisme structural

Nous avons vu dans l'article précédent qu'il existait plusieurs formes d'anti-réalisme scientifique, c'est à dire plusieurs façons de douter que les théories scientifiques décrivent correctement la réalité : soit que la réalité n'existe simplement pas au delà de nos représentations, soit qu'on considère que les théories scientifiques sont des instruments de prédiction plutôt que des descriptions de ce qui est inobservable, soit simplement qu'on est sceptique vis-à-vis de la possibilité de réellement connaître la réalité au delà des phénomènes observables.

Nous avons également vu en quoi la sous-détermination des théories par l'expérience constituait un argument anti-réaliste : il se pourrait bien que les explications scientifiques qu'on donne aux phénomènes ne soient qu'une possibilité parmi de nombreuses autres, qui rendent aussi bien compte de ce qui est observable. Enfin nous avons vu que la principale motivation du réalisme était basée sur le succès des théories scientifiques, notamment quand elles permettent de prédire de nouveaux phénomènes insoupçonnés : la meilleure explication à ce succès est que nos théories dévoilent effectivement des aspects importants de la constitution de la nature.

Hopetoun falls
La sous-détermination des théories par l'expérience peut paraître un peu théorique et abstraite. On serait en droit d'attendre que de réels cas de théories rivales, proposant des explications alternatives, se présentent à nous avant de douter que nos théories les mieux acceptées décrivent correctement la réalité. Cependant il existe certaines situations qui posent un problème plus sérieux pour le réaliste, jusqu'à nous faire douter que le fait de faire des prédictions nouvelles soit vraiment un critère pertinent. Ce sont les changements de théories.

lundi 7 avril 2014

Les électrons existent-ils ? (1/2) Réalisme et sous-détermination

Les électrons, les photons, les molécules et les réactions chimiques, les gènes et les protéines, enfin, les objets des sciences en général, existent-ils réellement ?

Myoglobin
Drôle de question n'est-ce pas ?

C'est que nous sommes naturellement portés à être réalistes. Être réaliste, au sens philosophique, c'est croire que nos représentations décrivent correctement la réalité. Et la réalité, c'est ce qui est indépendant de l'esprit ou de nos façons de concevoir les choses : ce qui continue d'exister quand nous cessons d'y penser.

La question du jour est donc celle-ci : nos théories scientifiques décrivent-elles correctement la réalité ? Il s'agit d'une question centrale en philosophie des sciences : la question du réalisme scientifique.

S'il s'agit d'une attitude de sens commun que de croire que les théories scientifiques décrivent la réalité -- il suffit de lire quelques manuels scolaires pour s'en convaincre -- il a pourtant existé dans l'histoire de la philosophie plusieurs doctrines influentes s'opposant à cette idée. Commençons donc par les passer en revue (attention : risque d'overdose de "ismes" !).

mardi 18 mars 2014

Science, pseudo-science et relativisme : la science, ce ne sont que des théories ?

La science, après tout, ce ne sont que des théories... Ce sont donc des croyances, et la science ne se différencie pas fondamentalement des religions ou des mythes.

On entend parfois ce genre d'affirmations qui visent à relativiser l'objectivité du savoir scientifique (par exemple dans la bouche des créationnistes) et on voit alors souvent rejeter ce genre d'affirmations d'un revers de la main : ceux qui les profèrent ne comprennent tout simplement pas ce qu'est la science.

Peut-être qu'il s'agit parfois d'affirmations un peu gratuites et pas vraiment réfléchies. C'est vrai, on peut vite perdre patience en discutant avec certains créationnistes dont les arguments sont faibles et les positions très dogmatiques. Cependant ça ne devrait pas nous empêcher d'examiner la question de manière un peu plus approfondie en prenant ces affirmations au sérieux, en particulier parce que, nous allons le voir, il existe aussi des versions assez sophistiquées de relativisme à propos des sciences qui ne sont pas si facile que ça à rejeter (et qui finalement s'avèrent assez riches d'enseignement).

Alors, le progrès inéluctable de l'entreprise scientifique vers la connaissance est-il un mythe ?