Je serai à Bruxelles ce samedi 22 octobre (au bar "La fleur en papier doré") pour parler des rapports entre philosophie et science. Ci-dessous le texte de ma présentation.
La philosophie est-elle utile ?
Je vais vous parler ce
soir de philosophie, et plus précisément des rapports entre
philosophie et science, avec cette question en ligne de mire :
la philosophie est-elle utile ?
Pourquoi cette
question ? Simplement parce qu'on a vu ces dernières années
certaines personnalités s'exprimer publiquement sur cette question,
notamment : Laurence Krauss, Stephen Hawkins ou Neil Degrasse
Tyson. Ces personnes ont toutes en commun deux choses : elles
appartiennent à la communauté scientifique, ce sont en général
des scientifiques ou des vulgarisateurs, et elles pensent que la
philosophie en général, ou la philosophie des sciences en
particulier, est inutile, ou dépassée. Citons, par exemple, Hawkins
dans l'introduction de son ouvrage « Y a-t-il un grand
architecte dans l'univers ? ». Hawkins nous dit :
« La
philosophie est morte, faute d'avoir réussi à suivre les
développements de la science moderne, en particulier de la physique.
Ce sont les scientifiques qui ont repris le flambeau dans notre quête
du savoir »
Hawkins pense donc
que c'est aujourd'hui à la science, et non à la philosophie, de
nous apprendre des choses sur le monde. Je pense qu'il a tort, et que
cette courte phrase traduit une grande méconnaissance de la
philosophie : en fait ce n'est pas la philosophie qui n'a pas
réussi à suivre les développements de la science, mais plutôt
Hawkins qui n'a pas suivi les développements de la philosophie…
C'est en tout cas ce que je vais défendre ce soir.
De manière
générale, au-delà de ces commentaires particuliers, il me semble
que certaines idées reçues sur la philosophie sont assez répandues,
et je propose de les examiner en détail. Parmi ces idées reçues,
on trouve :
-
L'idée que la philosophie serait inutile : les questions philosophiques, et la façon dont on essaie d'y répondre, n'ont aucun impact sur la société, ou sur le développement de la science en particulier. Les philosophes se contentent de couper les cheveux en quatre, bien assis dans leurs fauteuils.
-
L'idée que la philosophie serait déconnectée de la réalité. Les philosophes ne feraient qu'exprimer leurs intuitions sans chercher à les vérifier, tandis que les scientifiques essaient de tester leurs théories.
-
L'idée que la philosophie serait proche de la littérature, de la poésie, voire du mysticisme : il s'agirait d'une simple manière d'exprimer un questionnement par rapport au monde ou une « façon de voir les choses » personnelle. Il serait toujours possible de défendre à peu près n'importe quelle position philosophique, ce serait une simple question de préférence individuelle.
-
L'idée que la philosophie ne demande pas de connaissances particulières : il suffit juste de réfléchir. Les scientifiques seraient alors les mieux placés pour se questionner sur les sciences, sur la méthode expérimentale, ou sur la nature de la réalité, et ils n'ont donc pas besoin des philosophes.
-
Enfin on a l'idée que la philosophie ne progresse pas : elle se pose des questions sans réponse, et ce sont les mêmes questions depuis la nuit des temps, alors qu'au contraire, la science fait progresser notre connaissance.
Tout ça est faux.
Je propose donc aujourd'hui de dissoudre ces mythes. Pour terminer,
je vais essayer de comprendre, dans une perspective plus
sociologique, l'origine de cette rivalité entre science et
philosophie, et ce qui amène ces scientifiques à penser que la
philosophie est morte, obsolète ou inutile.
Mais commençons
par cibler un peu notre sujet. D'abord qu'est-ce que la philosophie ?
Je ne vais pas tenter ici de définir cette discipline (c'est une
question complexe), mais on peut déjà s'en faire une idée en
citant certaines de ses principales branches : l'éthique, qui
s'intéresse à la question de ce qui fonde les jugements moraux, la
philosophie politique, qui s'intéresse à l'organisation de la
société ou aux questions de justice, la philosophie du langage, qui
s'intéresse au rapport entre le langage, nos représentations et la
réalité, l'épistémologie, qui s'intéresse à la manière dont on
peut acquérir une connaissance du monde, à ce qui différencie
connaissance et croyance, et la métaphysique, qui s'intéresse à la
nature fondamentale des choses, à ce dont est fait la réalité. On
pourrait décliner ces branches en citant également l'esthétique,
la philosophie des mathématiques, la philosophie du droit ou la
philosophie de l'esprit.
Enfin la branche
qui va nous intéresser particulièrement est la philosophie des
sciences : il s'agit d'un domaine qui est un peu à cheval entre
l'épistémologie et la métaphysique. La philosophie des sciences
s'intéresse à la manière dont la science permet d'obtenir une
connaissance du monde, aux questions de méthode, au rôle de
l'expérience, de l'observation et de l'expérimentation dans
l'acquisition des connaissances : c'est son aspect
épistémologique, mais elle s'intéresse aussi à la manière
d'interpréter le contenu des théories scientifiques, c'est à
dire : qu'est-ce que les sciences nous apprennent sur le monde,
par exemple sur le temps, sur la matière ? C'est l'aspect plus
métaphysique.
Ce qui caractérise
la philosophie, dans tous ces domaines, c'est son approche de ces
questions, qui est une approche rationnelle, réflexive, analytique
et argumentative : la philosophie propose de produire des
arguments logiques, d'analyser nos concepts, pour répondre à ces
différentes questions. Ce sont des aspects qu'on retrouve depuis son
origine, en particulier chez les grecs anciens.
Ceci nous permet
déjà de dissoudre un premier mythe : la philosophie n'est pas
le mysticisme, ce n'est pas la poésie ou la littérature,
puisqu'elle se fonde sur la réflexion et le raisonnement logique. Il
ne s'agit pas simplement d'exprimer un point de vue, mais de le
défendre rationnellement.
Bien sûr c'est un
aspect qu'elle partage avec les sciences : les sciences
également fonctionnent suivant les principes de rationalité. Mais
il existe certaines différences. D'abord, le type de questions que
la philosophie se pose est différent, même s'il y a parfois des
recoupements : une question philosophique est plus générale,
plus abstraite et plus réflexive qu'une question scientifique. Si
l'on regarde les différentes branches de la philosophie qu'on vient
de citer, on pourra remarquer qu'elle n'est pas en concurrence
directe avec les sciences. Elle se pose des questions d'une nature
différente. Si l'on prend l'éthique par exemple : les
philosophes se demandent ce qui fonde les jugements moraux. Un
jugement moral est normatif, il nous dit ce qu’on doit faire.
Certains philosophes pensent que les jugements moraux sont une simple
expression de préférences personnelles ou une adhésion à des
normes sociales, et d'autres affirment qu'il existe des faits moraux
objectifs. Certains affirmeront, par exemple, que la question du bien
et du mal doit se comprendre en termes des conséquences, positives
ou négatives, de nos actions (on parle de conséquentialisme, dont
une version est l'utilitarisme). D'autre pensent que c'est plutôt
une question de devoir, indépendamment des conséquences, qu'il
s'agirait de suivre certaines règles morales, et d'autres encore
pensent que c'est une question de vertu : non pas suivre des
règles, mais être une bonne personne. Ces philosophes proposent
différents arguments pour essayer de défendre leur position ou pour
mettre en difficulté les positions adverses. Alors bien sûr, la
science peut nous éclairer sur certains aspects de la philosophie
morale. Par exemple, la biologie évolutive peut nous renseigner sur
la façon dont la coopération entre individus, qu'on juge
généralement moralement bonne, a pu être sélectionnée par
l'évolution. Peut-être qu'un jour les neurosciences nous
éclairerons sur ce qui se passe dans le cerveau quand on émet un
jugement moral. Mais ce n'est pas une question du même ordre :
la biologie ne répond pas à la question « que dois-je faire ?
Quelle est la meilleure façon d'agir ? ». A ce jour, on
ne dispose d'aucune théorie scientifique qui nous indiquerait, dans
une situation donné, ce qui est bien ou mal.
On pourrait faire
le même raisonnement à propos des autres branches de la
philosophie. Si l'on prend la philosophie des sciences en
particulier : on ne dispose d'aucune théorie scientifique qui
nous dirait comment fonctionne la science elle-même, et ce qui fait
qu'une méthode scientifique est efficace ou non, ce qui nous permet
de dériver des lois générales à partir d'observations
particulières, ou ce qui fait qu'une discipline est ou non
scientifique. Ce sont des questions philosophiques. En général, la
science ne réfléchit pas sur elle-même. Les scientifiques peuvent
le faire, mais ce ne sont pas des choses sur lesquelles les théories
scientifiques nous renseignent directement.
Et même quand il
est question de métaphysique, c'est à dire, quand on se demande :
que nous apprennent les sciences à propos de la réalité, de la
nature des choses ? Intuitivement, on pourrait penser que la
métaphysique est en concurrence assez directe avec les sciences :
ce sont les théories elles-mêmes qui nous apprennent de quoi est
fait le monde (d'électrons, de quarks, de molécules, de
protéines…). Mais à y regarder de plus près, les choses ne sont
pas si simples. Aucune théorie ne s'interprète elle-même. On peut
très bien, par exemple, être instrumentaliste à propos des
sciences : on affirmera que les théories ne sont que des outils
pratiques pour interagir avec la nature, pour faire des prédictions,
pour développer des techniques. Une théorie, c'est seulement
quelque chose qui fonctionne. On pourra aussi être réaliste et
penser que les théories décrivent ce qui existe réellement dans le
monde. Et même en étant réaliste, il n'est pas évident qu'il
existe une unique interprétation pour chaque théorie : par
exemple, la physique quantique pose de nombreux problèmes, et il
existe des désaccords sur l'interprétation à avoir. Enfin on peut
aussi se questionner de manière plus abstraite : qu'est-ce
qu'une loi de la nature ? Qu'est-ce que le temps ? Si les
théories scientifiques peuvent nous informer sur ces questions,
elles n'y répondent pas directement, dans la mesure où plusieurs
réponses sont compatibles avec les mêmes théories :
typiquement, la question du déterminisme, est-ce que l'évolution du
monde suit un déroulement fixé par des lois immuables, cette
question n'a pas de réponse dans les théories, il existe des
interprétations déterministes et indéterministes de la physique
quantique. De même pour la question de l'atomisme par exemple.
Il existe des
désaccords au sein même de la communauté scientifique sur toutes
ces questions, du moins quand les scientifiques se posent ce genre de
question : certains scientifiques sont instrumentalistes, comme
l'était Bohr, d'autres sont plus réalistes, comme Planck ou
Einstein, et ils peuvent diverger sur leur interprétation de la
physique quantique. Mais ça ne les empêche pas le moins du monde de
tous faire de la science, et d'être des bons scientifiques :
ils parviennent à utiliser les mêmes théories, à développer de
nouvelles hypothèses et à les tester, indépendamment de leurs
positions philosophiques.
On voit donc que
les questions philosophiques sont finalement assez indépendantes des
questions scientifiques. Une hypothèse scientifique est toujours
exprimée dans un cadre bien établi : en utilisant les
concepts, le formalisme mathématique de la discipline. Le rôle du
philosophe, c'est de se questionner sur le cadre lui-même, sur son
interprétation, sur ses fondements, sur l'histoire des sciences et
sur la façon dont on passe d'une théorie à une autre, sur les
concepts que les scientifiques utilisent, d'une manière plus
générale et moins appliquée à des cas particuliers. Le
scientifique peut lui aussi se poser ce genre de questions à ses
heures perdues, mais le philosophe tentera d'y répondre de manière
plus systématique : en produisant des arguments rationnels
allant dans un sens ou dans l'autre, et en utilisant les outils
conceptuels de la philosophie.
On voit que la
philosophie, puisqu'elle se pose des questions différentes, peut
très bien être utile pour elle-même : il n'est pas nécessaire
qu'elle soit utile aux sciences pour être utile ou intéressante en
tant que démarche intellectuelle, pas plus que la science n'a besoin
d'être appliquée techniquement pour avoir un intérêt en soi.
C’est un malentendu implicite qu’on trouve chez beaucoup de
scientifiques qui jugent que la philosophie est inutile :
inutile aux sciences, peut-être, du moins à une partie de
l’activité scientifique, mais ça ne veut pas dire pour autant
qu’elle est inutile en soi. Notre travail n’est pas de servir les
scientifiques : la philosophie n'a pas à être subordonnée à
la science puisqu'elle s'occupe de domaines différents.
On voit aussi que
l'idée, souvent entretenue par ceux qui pensent la philosophie
inutile, que seule la science est capable de nous fournir des
réponses aux grandes questions, ne va pas de soi. Les questions qui
touchent aux fondements des sciences ou à leur interprétation ne
sont pas elle-même des questions scientifiques. Alors bien sûr, on
peut penser que si une question ne peut être décidée par
l'expérience, c'est une question qui n'a aucun sens, ou une question
qu'on devrait arrêter de se poser parce qu'elle ne recevra jamais de
réponse. Ce serait une manière d’affirmer que seule la science
est utile. Mais, premièrement, affirmer ceci, que les seules
questions sensées sont les questions testables empiriquement, est
déjà un positionnement philosophique particulier : on
l’appelle généralement positivisme, ou empirisme. S’appuyer sur
une position philosophique particulière pour affirmer que la
philosophie est inutile est tout de même un peu problématique.
Ensuite cette position, pour intuitive qu'elle paraisse, n'est pas si
évidente à défendre. Il existe énormément de complications au
moment où on se demande : quel genre de question peut ou non
être confirmée ou infirmée par l'expérience ? Est-ce qu’on
doit compter l’induction, ou le fait de dériver des lois générales
à partir d’observations particulières, parmi ce qui est confirmé
par l’expérience ? Est-ce qu'il existe vraiment une
expérience ou des observations « pures », c'est à dire
indépendante des théories, des croyances, de nos concepts ?
Est-ce que ce qu'on considère non testable aujourd'hui ne sera pas
testable demain à l'aulne de nouvelles théories ? Est-ce que
les lois théoriques abstraites sont vraiment réfutables ? Dès
qu'on creuse un peu ces questions, on voit que les choses ne sont pas
du tout évidentes, elles touchent aux questions relatives à la
cognition, à l'esprit, au langage… C'est d'ailleurs un domaine sur
lequel la philosophie des sciences a beaucoup progressé au 20ème
siècle. Par exemple, les philosophes ont montré que les théories
interviennent généralement au moment même de faire des tests
empiriques : nos rapports d'observation, et la manière dont on
interprète une expérience, ne sont jamais entièrement indépendants
de nos croyances théoriques. Par exemple le fonctionnement d'un
thermomètre qu'on utilisera pour tester la thermodynamique dépendra
lui-même de la thermodynamique : les outils de mesure se
développent conjointement avec la théorie, ils ne précèdent pas
la théorie, et de manière générale, croire en la fiabilité de
nos mesures suppose de croire en certaines théories.
Enfin on peut
remarquer que l'idée que les théories scientifiques sont simplement
confrontées à l'expérience, que la science marche par progression
linéaire, à coup de postulats et de réfutation d'hypothèses, ne
va pas de soi non plus. Il faut dire que les scientifiques ou les
amateurs de science ont parfois une vision un peu idéalisée de
l'histoire des sciences, faite de grands génies qui révolutionnent
la discipline simplement en observant attentivement la nature. Cette
réécriture rétrospective a été réfutée par les historiens des
sciences. Il est trop simple, par exemple, de penser que Galilée,
quand il a défendu l'héliocentrisme, a simplement défendu une idée
qui marchait mieux empiriquement contre une église dogmatique qui
refusait de se rendre à l'évidence : en fait, compte tenu des
connaissances de l'époque, l'héliocentrisme n'avait rien d'évident.
Il y avait de bons arguments contre, comme le fait que la position
des étoiles (qu'on pensait plus proches de nous à l'époque) ne
change pas entre l'été et l'hiver, et puisque le principe d'inertie
était encore mal compris, on pouvait légitimement se demander
pourquoi nous ne ressentons pas le mouvement de la terre quand elle
tourne. Il est probable qu'on aurait finit par arriver à
l'héliocentrisme de toute façon, mais si la théorie de Galilée
l'a finalement emporté à l'époque, c'est aussi pour des raisons
sociologiques ou politiques : Galilée était bien implanté
dans son époque, et certaines personnes influentes, comme Descartes,
se sont appropriée l'héliocentrisme, parce ce qu'il s'harmonisait
bien avec leurs idées philosophiques. C'est quand cette théorie a
commencé à être mieux admise par une communauté influente
importante qu'on a pu mieux la confirmer par de nouvelles
observations.
De manière
générale, l'histoire des sciences montre que les phases de
progression linéaire par réfutation d'hypothèse ont effectivement
lieu quand il existe un cadre bien établi au sein desquels les
scientifiques travaillent : on parle de paradigme. C'était le
cas par exemple au 18ème et 19ème siècle, quand le paradigme était
la physique classique : les scientifiques n'ont cessé de
développer cette théorie pour l'appliquer à de nouveaux domaines,
avec succès. Pour autant, si effectivement des hypothèses
particulières ont pu être confirmées ou réfutées par
l'expérience à cette époque, il faut remarquer que le cadre
lui-même, c'est-à-dire la physique de Newton, n'est jamais
réellement remis en cause par une expérience. Pour prendre un
exemple : quand on a découvert que l'orbite d'Uranus ne suivait
pas la trajectoire prédite par la théorie, on n'a pas déclaré que
la théorie de Newton était réfutée. On a plutôt fait l'hypothèse
qu'il existe une planète supplémentaire qui explique cette
anomalie, qu'on a baptisé Neptune. Et cette planète a été
observée ensuite : c'est un grand succès pour la théorie de
Newton. Quelques années plus tard, rebelote avec l'orbite de
Mercure, mais cette fois aucune planète n'a jamais été observée
pour expliquer la trajectoire déficiente de Mercure. Pourtant les
scientifiques ont continué de travailler dans le cadre de la théorie
de Newton pendant des années. On voit que ce sont toujours des
hypothèses particulière qui sont confrontées à l'expérience,
comme l'hypothèse de Neptune, mais le cadre lui-même, la théorie,
n'est jamais vraiment remis en cause, et en fait il est à peu près
impossible de le confronter directement à l'expérience : il y
a toujours des hypothèses qui font l'intermédiaire entre le cadre
et l'expérience. On peut toujours « sauver » une théorie
face à l’expérience en proposant de nouvelles hypothèses.
La théorie de
Newton n'a pas été abandonnée à cause d'un échec expérimental :
elle a été abandonnée quand on a trouvé une meilleure théorie,
la théorie de la relativité. Et cette théorie n'était pas
meilleure parce qu'elle correspondait mieux à nos observations :
elle était meilleure parce qu'elle parvenait à unifier la mécanique
et l'électromagnétisme, sur lesquels les physiciens se cassaient
les dents depuis des décennies. C'est avant tout un succès purement
théorique qui a motivé la relativité. C'est seulement ensuite
qu'on a essayé de comparer expérimentalement la relativité et la
mécanique classique pour confirmer expérimentalement ce succès
théorique. On voit donc que même en science, le rôle de
l'expérience, même s'il finit toujours par jouer un rôle, n'est
pas si évident et direct qu'on peut le croire naïvement, et la
progression n'est pas si linéaire : la science fonctionne
plutôt par une progression d'abord linéaire, une accumulation
d'hypothèses bien confirmées, quand un paradigme est bien établi,
puis une période de crise pendant laquelle les anomalies
s'accumulent, mais sans que la théorie ne soit abandonnée, jusqu'à
ce que se produise une révolution qui va complètement bouleverser
les concepts que les scientifiques utilisent. C'est encore un apport
de la philosophie des sciences du 20ème siècle que d'avoir mis en
évidence ce fonctionnement, notamment avec les travaux de Thomas
Kuhn et de Lakatos.
Tout ça ne veut
pas dire que l'expérience, l'observation, ne joue aucun rôle dans
l'acquisition d'une connaissance sur le monde, ça montre juste d'une
part que l'expérience est toujours interprétée au sein d'un cadre
donné, qui lui n'est pas directement confronté à l'expérience et
pas vraiment réfutable, et d'autre part que l'expérience n'est
jamais le seul déterminant : la connaissance scientifique a sa
place dans un cadre plus large, un ensemble de concepts, une « façon
commune » de voir le monde. Si l'on y réfléchit sérieusement,
on verra que la connaissance scientifique, pour efficace qu'elle
soit, ne constitue qu'une toute petite part de l'ensemble des choses
que l'on sait et qui nous permettent de vivre au quotidien : ça
incorpore par exemple une connaissance du fonctionnement de la
société, des normes sociales de notre environnement culturel, des
connaissances sur le comportement des gens… Ou des connaissances
vraiment basiques, comme le fait que les objets persistent dans le
temps. Notre cadre conceptuel est bien plus large que celui des
théories scientifiques, qui est très spécialisé. Et
l'expérimentation se situe bien dans ce cadre conceptuel large. Le
rôle de la philosophie, c'est justement de se placer dans ce cadre
plus général et de se questionner, de manière réflexive et
rationnelle, sur tout ça : et en particulier, quand il s'agit
des sciences, de réfléchir sur les concepts que les scientifiques
utilisent, et sur la façon de les interpréter d'une manière
générale, ou sur l'activité scientifique en elle-même. Et ce sont
des questions auxquelles la science elle-même ne peut pas répondre,
puisqu'elle fonctionne toujours dans un paradigme particulier qui
prend sa place dans ce cadre plus large.
On a déjà cassé
ici au passage de nouveaux mythes à propos de la philosophie :
l'idée qu'elle serait déconnectée de la réalité et que seule la
science, en contact avec l'expérience, serait capable de produire de
la connaissance, et l'idée que la philosophie ne progresserait pas.
La philosophie n'est pas particulièrement déconnectée, elle
s'intéresse au monde, et la philosophie des sciences en particulier
s'intéresse directement au contenu des théories scientifiques et à
l'activité des scientifiques. Enfin la philosophie progresse :
on comprend mieux aujourd'hui le fonctionnement de la science et le
rôle de l'observation.
Il reste à savoir
si la philosophie est utile : est-ce vraiment intéressant de
savoir comment exactement fonctionne la pratique scientifique ?
Est-ce que finalement les scientifiques ne s'en sortiraient pas aussi
bien tous seuls, un peu comme on n'a pas forcément besoin d'être un
bon mécanicien pour savoir conduire une voiture ? Ou bien
est-ce que les scientifiques ne seraient pas eux-mêmes les mieux
placés pour parler de la science, de sa méthode et de son
fonctionnement ? On pourrait dire : ok, l'éthique, la
politique, tout ce qui est du domaine de l'humain, laissons ça aux
philosophes : on n'a pas encore de théorie solide à ce sujet,
ça viendra peut-être un jour. Mais ce qui relève déjà
aujourd'hui de la science, de sa méthode, de la façon de
l'interpréter, c'est une affaire pour les scientifiques.
Encore une fois ce
genre d'idée relève d'une vision un peu idéalisée de l'histoire
des sciences : la science prenant son indépendance de la
philosophie à une certaine époque, l'époque des lumières, et
progressant de manière autonome, grâce à des génies qui
découvrent, de manière isolée, de nouvelles théories :
Galilée, Newton, Darwin, Einstein... C'est un peu cette idée qu'on
retrouve dans la citation de Hawkins : « la science a
repris le flambeau dans notre quête du savoir ». S’il y a du
vrai là-dedans, c’est dans le sens où l'activité scientifique
est aujourd'hui largement autonome de la philosophie. Mais tout de
même, ni Galilée, ni Newton, ni Darwin, ni Einstein n'ont sorti
leurs théories de leur chapeau à partir de rien : Galilée
connaissait parfaitement les philosophes grecs, il discute leurs
thèses dans ses écrits. Newton s'est lui-même inspiré de Galilée,
mais aussi Descartes. Il est entré en discussion avec Leibniz
sur la nature de l’espace. Mais il s’est aussi inspiré des grecs
anciens : par exemple, il discute en longueur l'atomisme
d’Épicure quand il présente sa mécanique des particules.
Einstein était également érudit en philosophie, et les principes
de la relativité dérivent assez directement d'idées qu'on trouve
chez Leibniz ou chez Ernst Mach sur la nature relationnelle de
l'espace et du mouvement. Selon ses propres dires, même Schopenhauer
l'aurait inspiré à l'époque (même si quand on connaît cet
auteur, on a un peu de mal à voir le lien…).
En fait la
philosophie a toujours accompagné le développement des sciences, au
point qu'elles étaient initialement indistinctes : Aristote,
par exemple, spéculait sur la nature du mouvement en proposant des
théories. Il expliquait que les bulles d'air remontent dans l'eau et
que les objets tombent en invoquant sa théorie des quatre éléments.
On peut y voir un embryon de théorie scientifique. Aristote pensait
d'ailleurs que la philosophie devait avant tout être fondée sur
l'observation de la nature, il menait à bien des expériences, et on
peut y voir les prémisses de la méthode scientifique. On trouve
aussi des spéculations sur la nature de la matière, chez Démocrite
ou Épicure par exemple.
La science moderne
est née en même temps que la philosophie moderne, à l'époque de
la renaissance, notamment avec Copernic et Galilée. La nouvelle
méthode expérimentale qui a fondé les sciences modernes a été
inspirée entre autre par des philosophes du moyen âge, comme
Guillaume d'Occam (à qui on doit le fameux rasoir d'Occam), et par
Francis Bacon. Elle et a été très vite discutée par Descartes et
d’autres philosophes. Le traité de Newton où il expose sa
mécanique est intitulé « principes mathématiques de la
philosophie naturelle ». Tout ceci a influencé les philosophes
empiristes écossais : Locke, Hume. La philosophie de Kant est
également très influencée par la mécanique de Newton.
Bien sûr avec le
temps la science expérimentale a acquis de plus en plus d'autonomie
vis-à-vis de la philosophie, mais mis à part certains courants un
peu ésotériques, les philosophes n'ont jamais cessé de
s'intéresser aux sciences, et la philosophie n'a jamais cessé
d'inspirer les scientifiques. Par exemple, l'avènement de la
physique quantique a eu lieu à une époque où la philosophie
dominante était le positivisme logique. C'est un courant qui
entretient une certaine forme d'instrumentalisme réductionniste à
propos des sciences, et qui pense que les théories scientifiques se
réduisent à des rapports entre nos observations qu'on peut analyser
de manière logico-mathématique. Scientifiques, philosophes et
mathématiciens se réunissaient régulièrement à Vienne pour
discuter, c'est ce qu'on a appelé le « cercle de Vienne »,
et le positivisme logique a certainement eut une grande influence au
moment des premiers pas de la physique quantique, comme l’atteste
la correspondance entre les physiciens : Bohr ou Heisenberg
défendaient explicitement un positivisme inspiré du cercle de
Vienne, et on voit assez directement comment ces idées les ont amené
à développer le calcul matriciel en mécanique quantique plutôt
que l’image plus « réaliste » que proposait
Schrödinger avec la fonction d’onde.
On peut citer
d'autres exemples d'interaction : les travaux sur les fondements
des mathématiques, par Frege ou Russell, qui ont ensuite été
repris par des mathématiciens comme Gödel ou Hilbert (à l'époque
du cercle de Vienne également). Ces travaux ont servi de base au
développement de l'informatique. Les thèses utilitaristes de
certains philosophes moraux, puis la théorie des jeux et de la
décision rationnelle, ont inspiré les premiers économistes. Ou
encore, toujours à la même époque, le positivisme appliqué à la
philosophie de l'esprit a donné lieu aux thèses behavioriste, qui
veulent réduire le discours à propos de l'esprit à une histoire de
comportements humains uniquement, et le behaviorisme, même s’il
est abandonné aujourd’hui, a initié la psychologie expérimentale.
Aujourd'hui les
choses sont peut-être plus compliquées, car la science est
tellement spécialisée que les scientifiques ont rarement une
formation philosophique. Ils sont beaucoup moins érudits en
philosophie que ne pouvaient l'être Einstein par exemple, qui s'est
beaucoup interrogé sur des problèmes d'ordre philosophique, pour ne
pas citer des scientifiques qui ont réellement contribué à la
philosophie de manière importante, comme Pierre Duhem ou Henri
Poincaré. D'expérience, pour avoir consulté certains blogs et
assisté à certaines conférences de scientifiques, je constate que
les scientifiques d'aujourd'hui sont parfois très naïfs sur les
questions philosophiques. Ils ne connaissent pas l'histoire des idées
parce qu'ils n'ont pas reçu de formation pour, et parce qu'ils n'ont
pas toujours le temps de s'y intéresser. Il arrive que des
scientifiques fassent de la philosophie à leurs heures perdues :
quand ils sont à la retraite, ou quand ils rédigent des ouvrages de
vulgarisation, par exemple, il est assez fréquent qu'ils se
prononcent sur la façon d'interpréter les théories, ou sur la
façon dont fonctionne la science en général. Mais ils réinventent
souvent la roue, en réitérant des positions philosophiques
dépassées : par exemple, un positivisme naïf, qui a pourtant
été abandonné au 20ème siècle face aux critiques. Ou alors ils
émettent des positions métaphysiques sur la nature du temps ou que
sais-je qui sont plutôt confuses, qui relèvent plutôt de
l'inspiration que de l'argumentation. Tout ça aurait été
inconcevable il y a un siècle ou deux. Heureusement il existe
quelques exceptions.
Ici on retrouve un
nouveau mythe à propos de la philosophie : l'idée qu'elle ne
demanderait pas de connaissances particulières, qu'il suffirait
juste de réfléchir à une question dans son fauteuil. Si l'on n'est
pas au fait des débats historiques et de l'état contemporain des
débats, si on ne connaît pas ses classiques, il est impossible de
faire de la philosophie sans réinventer la roue. Avec le temps, les
philosophes développent des concepts, qui fonctionnent comme des
outils pour analyser différents domaines de manière claire et
précise, pour clarifier les autres concepts, et il faut apprendre à
se servir de ces outils. La philosophie comme l'histoire des
sciences, ça ne s'improvise pas, c'est un travail de recherche à
part entière, ça s'apprend et ça prend du temps. Pour cette
raison, les scientifiques, en tout cas ceux d'aujourd'hui, ne sont
pas forcément les mieux placés pour discuter de la méthode
scientifique sous ses aspects plus philosophiques, ou de la manière
d'interpréter les théories, surtout quand ils ignorent à peu près
tout de l'histoire des idées et de l'état des débats contemporains
et ne font pas l’effort de se renseigner. Ça ne veut pas dire
qu'un scientifique ne peut pas le faire : certains le font très
bien, et on trouve beaucoup d'anciens scientifiques parmi les
philosophes des sciences, mais ça demande un minimum de
connaissances.
Ceci dit, les
philosophes n'atteignent pas forcément le niveau de spécialisation
des scientifiques non plus. Mais ils ne sont pas tous ignares en
sciences, en tout cas pas les philosophes des sciences. Les
philosophes politiques ou moraux ignorent parfois tout des théories
physiques ou biologiques, ou en ont seulement une connaissance à un
niveau de vulgarisation, mais la plupart des philosophes des sciences
ont une formation scientifique, quand ce ne sont pas d'anciens
scientifiques reconvertis, et ils sont très au fait des théories
contemporaines. On peut trouver dans certaines revues des articles
très techniques, remplis d'équations. L'idée de Hawkins que la
philosophie n'aurait suivi les développements de la science est
simplement fausse.
En résumé, il me
semble donc que quand Hawkins ou d'autres affirment que la
philosophie est devenue inutile, dépassée par les sciences, ils
font simplement preuve d'ignorance : d'une part, ils ignorent
que le philosophe ne se pose pas les mêmes questions que le
scientifique, et donc on n'a aucune raison d'attendre de la
philosophie qu'elle soit utile au même sens où la science est
utile, ou qu'elle soit utile pour la science. D'autre part, ils
ignorent que la philosophie et la science se sont toujours
influencées mutuellement, et que la philosophie des sciences n'est
pas du tout en retard sur les développements contemporains de la
physique.
Si l'on peut
trouver une utilité à la philosophie pour la science, ce serait
celle-ci : la philosophie aurait pour rôle de clarifier les
concepts, d'analyser notre langage, de questionner les fondements, ou
encore de faire en sorte que certaines questions floues qu'on peut se
poser sur le monde deviennent plus claires, jusqu'à devenir
testables empiriquement. A la limite, si la philosophie fait
correctement son travail, une question purement philosophique peut se
transformer en question empirique : alors la philosophie donne
lieu à l'émergence d'une nouvelle discipline scientifique, ou d'une
nouvelle théorie, comme ce fut le cas pour la physique, la
psychologie ou l'économie. Mais même quand une discipline est bien
établie, la philosophie peut être utile au moment de questionner
les fondements de la théorie elle-même, par exemple au moment des
changements théoriques, des révolutions scientifiques dont je
parlais tout à l'heure : quand le cadre entier dans lequel on
travaillait jusqu'alors est remis en cause. Ce type de révolution
s'est produit en physique au début du 20ème siècle. Il me semble
qu'au moment des révolutions scientifiques, la philosophie peut être
utile aux sciences pour forger de nouveaux concepts : la
relativité d'Einstein comme la physique quantique ont été des
révolutions inspirées par des idées philosophiques. Aujourd'hui,
il existe des programmes de recherche en philosophie, à Genève
notamment, qui s'intéressent au statut du temps dans les théories
de gravitation quantique, et il est possible que ces recherches
profitent aux physiciens qui essaient d'élaborer ces nouvelles
théories.
Mais ceci étant
dit, je persiste à dire que la philosophie n'a pas à être utile
aux sciences pour être utile en soi. On vit tous aujourd'hui dans
des démocraties, qui sont inspirées de théories politiques issues
de la philosophie des lumières, d'idées abstraites sur la justice
et la liberté, donc la philosophie peut avoir une utilité sociale
que n'ont pas les sciences. Enfin elle peut être utile en
elle-même : simplement parce que beaucoup de gens trouvent
intéressant de se questionner sur le monde d'une manière abstraite
et générale.
Pour terminer cette
conférence, je propose d'aborder un aspect plus sociologique de ces
questions qui concerne la raison pour laquelle, récemment, autant de
personnalités publiques issues des milieux scientifiques se sont
crue permises d'affirmer que la philosophie est morte, ou inutile. A
mon avis on peut relever deux principales causes à ce phénomène.
La première est la
spécialisation dont je parlais : les scientifiques
contemporains connaissent mal la philosophie. Ils croient que c'est
une discipline facile, ou ils font de la philosophie, parfois de la
mauvaise philosophie, sans s'en apercevoir. Ils ont aussi une vision
idéalisée de l'histoire des sciences et de la manière dont elle
fonctionne.
Mais il y a une
autre raison, je pense, qui tient au fait que dans les années 50 à
70, quand les critiques du positivisme logique sont devenu
pressantes, on a vu apparaître en philosophie des courants
relativistes ou historicistes assez radicaux, qui ont tenté de faire
descendre les sciences dures de leur piédestal. A mon avis, ces
débats ont eu du bon, notamment parce qu'ils ont montré que l'image
naïve qu'on pouvait se faire du rôle de l'expérimentation ou du
progrès linéaire des sciences était fausse, mais il a aussi donné
lieu à des excès, et la spécialisation aidant, certains
philosophes ou sociologues ne connaissant pas grand-chose aux
sciences se sont emparés de ces idées d'une manière pas très
rigoureuse. On peut citer par exemple le programme fort de la
sociologie, qui consistait à affirmer que les objets scientifiques,
les électrons ou les gènes, sont des « constructions
sociales ». Aujourd’hui encore un certain nombre de
chercheurs en sciences humaines entretiennent une attitude de
défiance envers ce qu’ils appellent « l’hégémonie des
sciences dures ». Ceci a eu pour effet d'énerver les personnes
issues des sciences dures : on parlait à ce propos, dans les
années 80, de guerre des sciences.
Ceci dit, l'excès
peut venir des deux côtés, et on trouve parfois du côté des
sciences dures une tendance un peu hégémonique, à tout ramener à
sa discipline : un physicien pourra se sentir légitime pour
proposer une hypothèse explicative en biologie, ou une théorie de
l’esprit… Je ne veux pas généraliser mais c’est quelque chose
qu’on rencontre assez régulièrement. Et puis on trouve aussi une
volonté assez forte de délimiter clairement le territoire des
sciences, d'être normatif sur ce qui constitue « la méthode
scientifique », en niant plus ou moins les complications qui
existent. Les scientifiques n'aiment pas qu'on se questionne sur la
rationalité de leurs méthodes ou sur leur neutralité : ils
ont tendance à y voir le cheval de Troie des pseudosciences, du
créationnisme. Ils voudraient qu'il existe une frontière bien
nette, et pas seulement sociologique, entre la « bonne
science » et la « mauvaise science ».
Je pense que tout
ça est très dommageable et qu'il faut dépasser ces débats.
Défendre une « bonne science » complètement idéalisée,
en effaçant toutes les nuances, n'est pas le meilleur moyen de
lutter contre les pseudosciences : d'une part, si les
scientifiques s’appliquent à eux-mêmes ce type de critères
strictes, ça risque de plomber le développement de la science en
rejetant toutes les idées nouvelles, pas très orthodoxes, mais qui
pourraient être intéressantes à développer. Défendre la « bonne
science » de manière stricte, c'est simplement défendre son
paradigme : c'est être conservateur, mais les idées vraiment
novatrices en science sont celles qui remettent en cause ce qu'on a
toujours cru savoir, et elles n'impliquent pas systématiquement une
vérification expérimentale immédiate, ou une acceptation immédiate
par la communauté. Ensuite, défendre une vision idéalisée de la
science, c'est donner le bâton pour se faire battre, et les
créationnistes ou les partisans des médecines alternatives auront
tôt fait de s'engouffrer dans les brèches pour défendre leurs
lubies.
En tout cas toutes
ces questions, ce qui distincte la science des autres activités, la
bonne science de la mauvaise science, ne sont pas des questions
scientifiques : elles relèvent de la philosophie. A un moment
donné, il faut mettre les mains dans le cambouis si on veut vraiment
être solide sur ces questions. Donc autant être au clair sur les
débats : de l'eau a coulé sous les ponts depuis le
constructivisme social des années 70. Il y a de bons arguments qui
montrent que les thèses relativistes les plus radicales ne tiennent
pas. Par ailleurs, il est certain que la science est
institutionnelle, et que des aspects sociologiques entrent en jeux :
il n'y a pas forcément de critère ultime pour délimiter une bonne
méthode d'une mauvaise. Mais ça ne veut pas dire que ses résultats
sont déterminés par la sociologie : on peut aussi voir
l'institution comme une forme de contrôle social, peut-être
imparfait, mais perfectible, sur les méthodes employées. Enfin le
fait que la confrontation expérimentale ne soit pas si neutre, ou
que le développement de la science ne soit pas si linéaire, ne veut
pas dire que tout se vaut ou que les théories soient de pures
inventions sans fondement solide. Ça ne veut certainement pas dire
que l'homéopathie est efficace ou que la Bible est une source valide
de connaissance sur l'univers. Donc à mon avis, on a tout à gagner
à adopter une image plus nuancée de la science et de la pratique
scientifique, et, surtout, à entretenir une curiosité, un
questionnement philosophique, encadré par la rationalité, mais
ouvert aux idées nouvelles, sur le monde.
Merci de votre
attention.
Bonsoir,
RépondreSupprimerUn discours très intéressant, bien qu'un peu "défensif" je trouve (C'est mon opinion). A mon avis, vous n'avez pas, vous les philosophes, besoin de vous justifier, mais simplement de montrer que la philosophie est utile (A chaque fois que l'occasion se présente, et il y a moultes occasions)
L'avis de Hawkins n'est qu'un avis.
Mais j'ai une autre question: vous affirmez que "il existe des interprétations déterministes de la physique quantique": lesquelles?
Merci pour ce commentaire. La mécanique bohmienne est une interprétation déterministe. Il y a aussi ce qu'on appelle le "super-déterminisme". La théorie des mondes multiples aussi est déterministe, en un sens...
RépondreSupprimerEt la physique quantique ...?
RépondreSupprimer