La science, après tout, ce ne sont que des théories... Ce sont donc des croyances, et la science ne se différencie pas fondamentalement des religions ou des mythes.
On entend parfois ce genre d'affirmations qui visent à relativiser l'objectivité du savoir scientifique (par exemple dans la bouche des créationnistes) et on voit alors souvent rejeter ce genre d'affirmations d'un revers de la main : ceux qui les profèrent ne comprennent tout simplement pas ce qu'est la science.
Peut-être qu'il s'agit parfois d'affirmations un peu gratuites et pas vraiment réfléchies. C'est vrai, on peut vite perdre patience en discutant avec certains créationnistes dont les arguments sont faibles et les positions très dogmatiques. Cependant ça ne devrait pas nous empêcher d'examiner la question de manière un peu plus approfondie en prenant ces affirmations au sérieux, en particulier parce que, nous allons le voir, il existe aussi des versions assez sophistiquées de relativisme à propos des sciences qui ne sont pas si facile que ça à rejeter (et qui finalement s'avèrent assez riches d'enseignement).
Alors, le progrès inéluctable de l'entreprise scientifique vers la connaissance est-il un mythe ?
La science selon Popper
Il est fréquent qu'on oppose aux relativistes de tous bords une certaine conception de ce qu'est la science qu'on pourrait qualifier de "Popperienne".
Karl Popper était un philosophe autrichien du vingtième siècle. Un de ses soucis était de différencier la science d'autres activités humaines, comme les arts, la politique ou les religions. Existe-t-il un critère de démarcation précis, qu'on pourrait utiliser de manière systématique pour différencier les sciences de ces autres activités ?
Un premier critère qu'on pourrait envisager est que les théories scientifiques sont vérifiées par des expériences. Mais voilà, ce n'est pas strictement vrai : il n'est pas possible de déduire logiquement une loi générale (comme "tous les cygnes sont blancs") à partir d'un ensemble fini d'observations, et donc les hypothèses scientifiques ne sont jamais totalement vérifiées. C'est le fameux problème de l'induction soulevé par Hume : ce n'est pas parce que le soleil s'est levé tous les jours jusqu'à présent qu'il continuera à se lever demain.
Pour autant il est vrai que les prédictions des théories scientifiques sont confrontées à l'expérience d'une manière différente des mythes religieux, par exemple. C'est ce problème qui va amener Popper à proposer un autre critère de démarcation, qui est le critère de réfutabilité.
En effet ce qui, pour Popper, différencie une théorie scientifique d'autres types d'affirmations, ce n'est pas qu'elles sont strictement vérifiables, mais qu'elles peuvent être réfutées par l'expérience. Quand Einstein élabore la théorie de la relativité, il va proposer des expériences pour vérifier certaines prédictions de sa théorie (par exemple, la déviation de la lumière par les corps massifs, qui sera vérifiée en observant le déplacement de la position apparente des étoiles près du soleil lors d'une éclipse). Si cette prédiction n'avait pas été vérifiée, on aurait pu penser que la théorie est fausse.
Popper y voit un trait caractéristique qui lui permet d'affirmer que d'autres théories, comme la psychanalyse et le marxisme, ne sont pas scientifiques : au contraire, elles cherchent systématiquement à se soustraire à la réfutation par l'expérience ; elles cherchent à être toujours vrais, quelque soient les faits.
Ce critère nous amène alors à penser qu'une théorie scientifique est bel et bien fondée sur l'expérience, même si elle est seulement vraie "jusqu'à preuve du contraire", et que la science fonctionne par accumulation, remplaçant des hypothèses réfutées par de nouvelles qui fonctionnent mieux.
Ce critère est peut-être un peu léger par certains aspects. Par exemple il ne nous dit pas pourquoi une théorie qui a été vérifiée de nombreuses fois suivant des méthodes très différentes semblera plus crédible qu'une théorie qui n'a été vérifiée qu'une seule fois. Pour cette raison Popper et d'autres auteurs comme Carnap essaieront ensuite d'élaborer des critères de vraisemblance des théories.
Reste que cette vision des théories comme "vraies jusqu'à preuve du contraire" est souvent retenue par les défenseurs de la science, qui y voient une façon de transformer une faiblesse (l'aspect temporaire des théories) en force : c'est l'anti-dogmatisme caractéristique de la science qui est un gage de progrès.
La science selon Kuhn
On peut invoquer un premier problème qui est le holisme de la confirmation (dont nous avons déjà parlé) : les hypothèses ou théories scientifiques ne sont jamais testées de manière isolées, mais "en bloc", si bien que les scientifiques ont toujours plusieurs options face à une expérience contradictoire : ils peuvent rejeter leur théorie, ou bien la "sauver" de différentes façons, en revoyant certaines hypothèses auxiliaires, certains présupposés, ou en émettant des hypothèses ad-hoc par exemple.
Prenons un exemple. Au début du 19ème siècle, seules sept planètes étaient connus, et on parvenait à expliquer leur mouvement autour du soleil grâce à la théorie de la gravitation de Newton, à quelques anomalies près, en particulier dans l'orbite de Mercure et celle d'Uranus.
Les scientifiques n'en ont pas pour autant conclu que la théorie de la gravitation de Newton était fausse, mais plutôt qu'il devait exister une autre planète, Neptune, déviant légèrement l'orbite d'Uranus. C'est ce qu'on appelle une hypothèse ad-hoc : une hypothèse créée sur pièce, dans le seul but de "sauver" la théorie.
Il s'avère qu'une planète a été observé à l'endroit précis postulé par la théorie (par Johann Gottfried Galle, à partir des calculs d'Urbain Le Verrier), confirmant le bien fondé de cette hypothèse. Mais n'allez pas pour autant croire que le bon sens des scientifiques est infaillible : de la même manière, une planète, Vulcain, a été postulée pour rendre compte d'anomalies dans l'orbite de Mercure (on a également postulé la présence d'une ceinture d'astéroïdes près du soleil). Or cette planète n'a jamais été observée, et il a fallut attendre que la théorie de la gravitation de Newton soit rejetée au profit de la relativité générale pour finalement parvenir à expliquer ces anomalies.
Si Popper avait raison, la théorie de Newton aurait dû être rejetée dès le 19ème siècle. Or ce n'est pas ce qui s'est produit : on ne rejette pas une théorie si fructueuse pour une simple anomalie... Kuhn en conclut que les scientifiques ne cherchent pas réellement à réfuter leurs théories -- du moins pas en période "normale" où une théorie est déjà bien établie. Ils cherchent plutôt à "résoudre des énigmes", c'est à dire à étendre les théories admises à de nouveaux phénomènes ou domaines d'expérience, quit à recourrir à des hypothèses ad-hoc. Pour Kuhn, ce conservatisme est un fonctionnement "normal" de la science, et même un gage de succès.
Paradigmes, révolutions scientifiques et incommensurabilité
Kuhn introduit alors sa fameuse notion de "paradigme", aujourd'hui un peu galvaudée, mais à laquelle on a déjà reproché à l'époque de ne pas être très précisément définie. Il s'agit, disons, d'un ensemble de théories, de modèles ou exemples-types associés, de techniques expérimentales, de connaissances, présupposés implicites ou principes méthodologiques qui sont transmis par une communauté scientifique dans les manuels, les classes et les laboratoires.
Pour Kuhn, les paradigmes fonctionnent un peu comme des "boites" dans lesquels on fait rentrer les phénomènes. Certaines théories bien établies nous empêcheraient de considérer comme pertinents certains phénomènes qui n'entrent pas dans les "cases". Kuhn observe également que certains faits scientifiques sont "teintés de théorie". C'est le cas quand les mesures effectuées en laboratoire, par exemple de la charge d'un électron, ne peuvent être interprétées qu'à la lumière de la théorie sur laquelle on travaille, ici l'électromagnétisme, ou encore quand ces mesures s'appuient sur des théories annexes qui servent, par exemple, à rendre compte du fonctionnement de nos appareils de mesure (une théorie optique quand on utilise un microscope). Il semble en déduire que les faits ne peuvent recevoir de signification qu'à l'intérieur d'un paradigme.
On peut illustrer cette thèse par les dessins qu'il est possible d'interpréter de plusieurs façons (par exemple un lapin ou un canard). Selon notre intention, on verra des choses différentes. Ou encore, on peut penser par analogie avec certaines expériences de psychologie qui montre que nos croyances et attentes affectent nos perceptions : on croit voir des piques au lieu de coeurs noirs dans un jeu de carte. Il faudrait ainsi comparer les théories scientifiques ou les paradigmes à des intentions vis-à-vis du monde qui nous font voir des choses différentes.
Reste à comprendre comment les paradigmes se succèdent les uns aux autres. Si adopter une théorie "change notre façon de voir le monde", peut-on objectivement comparer les paradigmes les uns aux autres ? Pour Kuhn, les changements de théorie ont leu de cette façon : les scientifiques travaillent au sein d'un paradigme qu'ils ne cherchent pas à réfuter mais à étendre, jusqu'à ce que les anomalies (considérées comme des énigmes à résoudre) s'accumulent. Le paradigme entre alors en crise, et il se peut qu'un paradigme concurrent, mené par une nouvelle génération de scientifiques, et qui réinterprète ces anomalies non comme des énigmes, mais comme des contre-exemples à la théorie, prenne le dessus. Nous avons alors affaire à une révolution scientifique.
L'aspect important des révolutions scientifiques est que puisque les faits n'ont de signification qu'à l'intérieur d'un paradigme, les paradigmes alternatives qui se succèdent ne sont pas réellement comparables entre eux sur le plan empirique : ils sont incommensurables. Un paradigme ne seraient finalement vérifiable que selon des critères d'efficacité internes (on parle d'une conception intra-théorique de la vérité).
Or s'il n'est pas possible de juger qu'une théorie est empiriquement meilleure qu'une autre parce que ces différentes théories travaillent dans des "mondes différents", alors il faut accepter que les révolutions scientifiques ont lieu selon des critères non-empirique, et peut-être irrationnels (ce qui reviendrait à dire que les "boites" dans lesquelles on fait entrer les phénomènes seraient plus ou moins arbitraires).
Il se peut même que des facteurs sociologiques entrent en jeu dans l'évolution de la science. Mais finalement, si l'on adopte ce type de vue, on pourrait aller jusqu'à penser qu'il n'y a pas de véritable progrès scientifique, et pas réellement de distinction entre la science et d'autres pratiques humaines, comme les arts ou les religions, chaque théorie n'étant finalement, à l'instar des mythes, qu'une "façon de voir le monde" qui en vaut bien une autre.
Lé réalisme contre-attaque
Ces thèses qui sont appuyées sur des exemples nombreux apportent certainement des nuances importantes à la vision un peu idéalisée du fonctionnement de la science proposée par Popper. Il est clair que le fonctionnement de la science n'est pas si linéaire et qu'il n'est pas uniquement fondé sur la vérification expérimentale. Un intérêt des travaux de Kuhn est d'apporter une optique sociologique au fonctionnement de la science qui manquait jusqu'alors. Cependant on peut également faire plusieurs reproches à ces thèses.
Le premier, nous l'avons dit, est que la notion de paradigme est assez floue et qu'il n'est pas certain qu'il existe une distinction si nette que ça entre les périodes normales et les révolutions scientifiques. Peut-être que les choses sont un peu plus compliquées, qu'il existe différents niveaux hiérarchiques entre certaines hypothèses plus ou moins centrales. D'autres modèles du développement scientifique, un peu hybride entre celui de Kuhn et de Popper, ont été proposés depuis dans cette lignée (par exemple celui de Lakatos).
Mais les reproches les plus important, de manière peu surprenante, concernent la thèse d'incommensurabilité des paradigmes. Cette thèse et le relativisme qu'elle implique peuvent en effet paraître un peu difficiles à avaler.
Il faut reconnaître que Kuhn est relativement ambigu dans ses premiers écrits. De plus il a atténué ses propres thèse par la suite pour se détacher des interprétations les plus relativistes. Il est en fait possible d'interpréter la thèse de l'incommensurabilité de manière plus ou moins radicale.
Parmi les interprétations les plus radicales, on trouve notamment les thèses de Feyerabend et son "anarchisme méthodologique" (il faut multiplier les paradigmes, il n'y a pas de méthode scientifique). On peut également évoquer le "programme fort" de la sociologie, qui vise à rendre compte des théories scientifiques comme des constructions sociales (et qui de nouveau peut s'interpréter de manière plus ou moins radicale, suivant qu'il s'agisse ou non de réviser la notion de vérité). Ce courant donnera lieu à ce que certains ont appelé la "guerre des sciences", opposant dans les années 1980 sociologie et sciences dures.
Ce qui peut sembler douteux dans ces thèses, c'est l'idée que quand on change de théorie, on "change de monde". On peut penser qu'un géocentriste et un héliocentriste qui regardent ensemble un coucher de soleil ne se représentent pas les choses de la même façon exactement. L'un "verra" la terre tourner sur elle même et l'autre "verra" le soleil descendre derrière l'horizon. Cependant il s'agira toujours de la même terre, du même soleil, et nos deux protagonistes pourront se mettre d'accord sur un ensemble de faits, d'apparences, qui constituent un fond neutre permettant d'interpréter les deux théories. De la même façon, on peut voir un lapin ou un canard dans un dessin ambigu tout en étant d'accord sur la position des lignes sur le dessin...
Il y a donc une certaine continuité dans les faits quand les théories se succèdent, et même si certaines théories peuvent apporter des faits qui leurs sont propres (comme ceux relatifs à la charge de l'électron), il s'agit plutôt d'une incommensurabilité locale que globale, puisqu'il existe un certain nombre de faits pré-théoriques relativement neutres par rapport aux hypothèses théoriques. Lavoisier et Priestley, qui entretenaient des théories différentes à propos des phénomènes de combustion, savaient se mettre d'accord sur leurs observations.
Et même quand une notion théorique voit son interprétation légèrement modifiée entre deux théories (par exemple la masse est conçue différemment en mécanique classique et en relativité générale) on peut avancer qu'il existe une certaine continuité : le terme de "masse" dans les deux théories prétend faire référence à la même propriété, même si notre conception de cette propriété a évolué. Tout comme les baleines sont toujours les mêmes baleines, qu'on les classe parmi les poissons ou les mammifères...
Ces aspects sont liés à des arguments important en philosophie du langage, qu'on doit notamment à Kripke et Putnam, et qui concernent notamment ce qu'on appelle la rigidité de la référence. Ils ont joué un rôle important dans un certain regain du réalisme scientifique en réaction au relativisme qui a succédé aux thèses de Kuhn.
On peut remarquer également, pour finir, qu'aucune étude convaincante n'a permis de rendre compte de facteurs sociologiques jouant un rôle essentiel dans l'évolution des théories scientifiques (au sens où on arriverait à des théories différentes à propos des mêmes phénomènes), et s'il est possible que les révolutions théoriques n'aient pas lieu sur une base exclusivement empirique, cela ne signifie pas pour autant que les critères en jeu ne puissent pas être justifiés rationnellement (par exemple comme des critères stratégiques pour élaborer de meilleures théories : la simplicité, la fécondité, ...).
Tout ça permet de penser qu'il existe finalement une certaine continuité entre les théories scientifiques, qui peut s'exprimer également par ce qu'on appelle le "principe de correspondance" : les anciennes théories sont généralement utilisées directement pour élaborer celles qui leurs succèdent (Einstein importe explicitement certaines équations de la mécanique classique dans le cadre de la relativité), ce qui fait que les anciennes théories peuvent être conçues, à la lumière des nouvelles, comme des "cas limites" (la mécanique classique peut être "retrouvée" à partir de la relativité en postulant que la vitesse de la lumière est infiniment grande) qui font des prédictions approximativement justes.
Conclusion
Les thèses de Kuhn sont importantes, puisqu'elles permettent de relativiser certaines conceptions naïves du fonctionnement de la science. Il est clair que l'évolution des sciences ne suit pas des critères exclusivement empiriques comme on pourrait le penser naïvement et que cette évolution est plutôt discontinue.
Pour autant il y a de bonnes raisons de penser qu'il y a bien un progrès scientifique, une accumulation des connaissances, et pas seulement en "période normale", mais aussi lors des révolutions scientifiques. Ce progrès a lieu au moins sur le plan empirique : les nouvelles théories rendent généralement compte d'un ensemble de phénomènes plus large qui inclue, avec une meilleure précision, les phénomènes dont rendaient compte les anciennes théories qu'elles remplacent.
Par ailleurs si la thèse d'incommensurabilité radicale est douteuse, alors il est légitime de penser que toutes les théories ne se valent pas et en conséquence, nous avons de bonnes raisons d'accepter les théories scientifiques comme étant objectivement meilleures que d'autres croyances contradictoires comme certaines théories créationnistes.
Pour autant si le critère de Popper ne fonctionne plus, est-on réellement capable de distinguer ce qui différencie la science d'autres disciplines ?
Il n'existe pas aujourd'hui de consensus sur cette question. La plupart des disciplines scientifiques ont des caractéristiques communes : l'application systématique des concepts (par exemple en utilisant les mathématiques), la recherche de l'objectivité, c'est à dire de ce qui est indépendant de points de vues particuliers, et, en effet, la confrontation à l'expérience. Pour autant tout ceci ne suffit pas à distinguer de manière suffisamment précise ce qui relève ou non de la science, et si les disciplines scientifiques ont au moins ces points de ressemblance, chacune emploie également des principes méthodologiques qui lui sont propre. Peut-être, finalement, comme l'ont proposé différents philosophes, ne faut-il y voir qu'une extension sophistiquée de certains principes de sens commun qui ont fait leurs preuves (et qu'on utilise aussi bien lors d'enquêtes policières). La science ne serait finalement qu'une institutionnalisation de ces critères au sein de certaines organisations.
Reste une question un peu plus métaphysique sur laquelle nous aurons peut-être l'occasion de revenir prochainement : si nos théories sont "acceptables", est-ce à dire qu'elles sont "vraies", c'est à dire qu'elles décrivent correctement la réalité ? Ou sont-elles seulement "empiriquement adéquates" ? Il s'agit là d'une question centrale en philosophie des sciences, celle du réalisme scientifique. Mais il n'est pas besoin d'être réaliste pour défendre l'idée que nos théories scientifiques sont acceptables et qu'il existe un progrès de la connaissance.
Très intéressant.
RépondreSupprimerJ'ai juste une petite remarque : je sais bien qu'en science, la notion d'auteur a peu d'importance, puisqu'on prétend à un discours objectif, néanmoins, je trouve dommage d'employer la périphrase impersonnelle "les scientifiques" pour parler des travaux d'Urbain Le Verrier, l'homme qui a découvert Neptune « au bout de sa plume » et tenté de répéter son exploit en conjecturant l'existence de Vulcain.
Typhon
Vous avez raison, c'est une bonne remarque. Pas de raisons de citer les philosophes plus que les scientifiques. J'essaierai de citer également les scientifiques de mes exemples à l'avenir.
SupprimerJ'ai légèrement retouché l'article pour ajouter des points sur la démarcation science / mythe. J'en ai profité pour ajouter une référence à Urbain Le Verrier (qui n'est pas le premier à avoir émis l'hypothèse de Neptune).
SupprimerIntéressant, et qui met en perspective les deux visions.
RépondreSupprimerKuhn, quand on ne le ridiculise pas propose une vision féconde.
D'ailleurs ce qui d'après lui fait le succès d'un paradigme (qui ne se valent pas) c'est leur fécondité, le fait qu'ils aident a avancer.
Ce que je critique dans la vision scientiste des académiques, et des philosophes c'est qu'on se focalise sur la théorie, et pas sur les faits et sur l'utilité.
Je citerais les position violentes de Taleb dans "lecturing Birds How to Fly" (Antifragile).
Pour lui les innovations ne sont pas faite par des académiques, mais pas des "praticiens", des ingénieurs, utilisant des modèles phénoménologiques et des heuristiques pour un but pratique.
Le rôle des théories est surestimé par les académiques qui essayent de réécrire (History Written by the losers) une histoire qui encense la vision théorique et le rôle des académiques (Kuhn lui dit une chose proche, et parle d'histoire linéaire plus simple à enseigner)
Ce que l'on observe dans les transitions de paradigme c'est un délire psychiatrique évident consistant à nier les faits tant qu'on en a pas de théorie plus ou moins cohérente. (Kuhn le dit bien, les preuves sont rejetées en attente de théorie complète)
Le déni de faits évidents, les argumentations fallacieuses d'un niveau incroyablement bas, sont acceptées par des gens qui clairement ont le niveau pour les détecter...
Dans le cadre de la vision de kuhn, et de l'organisation par assentiment des pairs (publications, financement, promotion, reconnaissance publique), qui s'est mondialisé, uniformisé, généralisé, je pense qu'on peut décliner le modèle de pensée de groupe de Roland Benabou
http://www.princeton.edu/~rbenabou/papers/Groupthink%20IOM%202012_07_02%20BW.pdf
L'idée c'est que quand un individu souffre de l'illusion collective de son groupe s'il en sort, alors il devient un supporter zélé de cette illusion, et un harceleur des dissidents.
Cela peut expliquer que les entrepreuneurs, et inventeurs, dont le sort dépend peu ou pas de l'assentiment des autres, ou plutot qui bénéficien des erreurs des autres quand ils ont raison, sont plus capables d'innover et d'éviter les illusions colectives.
Un bémol quand même car même dans les marchés, les univesr subventionnés, à modes, politisés, on peut trouver une dépendence à l'illusion collective tout aussi forte que dans le monde académique.
Cest la thèse de Alvesson dans sa notion d'organisation basée sur la stupidité fonctionelle.
http://www.lth.se/fileadmin/indek2013/program/Alvesson_functional_stupidity_scaIEM.pdf
Expression comique d'une réalité que les financier connaissent (si j'agis intelligemment je suis mort, tué par la concurence, alors je suis le troupeau des fous).
Ce qui fait que la science ne dérive pas définitivement dans la pensée de groupe auto-référentielle, récompensant comme les prix artistiques le respect de ses propres codes, c'est qu'elle est rémunératrice, et donc le plus souvent est rejetée quand elle ne correspond pas à la réalité...
néanmoins quand la science couvre un sujet sans sanction immédiate, ou un sujet ou elle peut créer l'illusion de validité en rejetant les faits ou en n'ayant que des opinions, alors la pensée de groupe doit êre la règle. La règle, pas le risque.
Le critère de popper de réfutabilité est une version théorisée, intelectuelle de "que ce soit pratiquement vérifiable".
A ce titre une autre condition d'une bonne théorie, est que en plus de ne pas se tromper comme l'exige Popper, elle avance des prévisions utiles, ou élimine des possibilités gênantes. Juste et Utile. Pratique quoi!
Un autre point a développer c'est que tout ces critères sont différents selon les spécialités, ce qui explique l'apport féconds des étrangers en terme d'innovations.
C'est la thèse de Norbert Alter. un autre corpus à creuser.
Merci pour ce commentaire.
SupprimerJe ne suis pas certain que tous les philosophes surestiment la théorie
au détriment de la pratique. A mon avis ce n'est pas le cas dans certaines traditions, par exemple en phénoménologie ou peut-être dans le courant pragmatiste. Et comme vous le remarquez, Kuhn met en avant cet aspect dans la notion de paradigme, qui est un ensemble de pratiques autant que de théories.
Personnellement j'ai quand même tendance à penser que les théories jouent un rôle important dans nos représentations de la réalité et que le travail théorique a un intérêt en tant que tel, pour lui même (il n'y a pas vraiment de pratique sans théorie).
Je ne partage pas l'idée que le succès de la science tienne au fait qu'elle doit être rémunératrice, donc forcée à être pratique (si je vous comprends bien). Je pense que les théoriciens peuvent être réellement animés d'un désir de comprendre la réalité. Il me semble faux de dire que les grandes avancées scientifiques, les plus fructueuses à long terme, sont le fait de praticiens. C'est de courte vue : la plupart des innovations techniques s'appuient en fait sur des théories pré-existantes. Quand aux innovations théoriques, elles sont rarement le fruit d'innovations techniques particulière, et elles ne reçoivent en général pas d'applications immédiates, mais servent les praticiens ensuite.
Votre interprétation de la thèse de Popper (réduire la vérification expérimentale à un principe d'utilité pratique) me parait également douteuse : je pense qu'on peut multiplier les exemples de vérifications expérimentales qui ne servent d'autre but que de confirmer une théorie..
Sinon ce que vous appelez "délire psychiatrique", à savoir le conservatisme des scientifiques, Kuhn l'appelle "science normale" et c'est pour lui un gage de succès. Par ailleurs les scientifiques ne forment pas un groupe monolithique.
Article très intéressant.
SupprimerJe crois comme toi que "nos théories scientifiques sont acceptables et qu'il existe un progrès de la connaissance" mais ce qui est négligé dans le scientisme, c'est le facteur "temps".
Quand bien même la science pourrait théoriquement un jour répondre à toutes nos questions, il reste quand même 2 points non négligeables qui handicapent cette théorie:
- Le moment auquel elle y arriverait étant indéfini, que fait-on entre temps ?
- Quel est le ratio du connu / inconnu (scientifiquement)? Si la science permet de répondre à 1% des questions qui se présentent, on peut la considérer comme une méthode intéressante mais actuellement négligeable. Alors que si c'est 99%, on n'est pas loin du but.
Or, personne ne peut le dire...
C'est pourquoi le critère un peu "utilitaire" (opérationnel) de la science n'est pas à mon avis à négliger.
Merci pour ce commentaire. Je pense qu'il faut distinguer plusieurs questions. Dire que la science progresse et que toutes les théories ne se valent pas, ce n'est pas affirmer que nos théories expliquent tout, ni même qu'elles le pourront un jour. Ce n'est donc pas forcément être scientiste. (On peut par exemple défendre que les questions morales ou esthétiques, ou certaines questions métaphysiques ne relèveront jamais de la science sans pour autant être relativiste vis-à-vis du savoir scientifique). A ceci s'ajoute encore d'autres questions également indépendantes bien que liées, par exemple sur la nature de ce savoir (description de la réalité ou outil pratique ?) ou encore les questions plus pratique que vous évoquez (que fait-on ?).
SupprimerEn effet personne ne peut dire que la science peut répondre à "1% des questions" et il n'est même pas certain qu'on puisse ainsi quantifier les questions pour définir de tels pourcentages. A chaque nouvelle théorie les choses sont envisagées dans de nouveaux termes, les questions elles mêmes se posent différemment.
Tout à fait d'accord.
SupprimerQue veut dire "relativiste vis à vis du savoir scientifique" ?
Je veux dire par là affirmer que le contenu de la connaissance scientifique (les électrons, les gènes, etc) ne correspondrait pas à quelque chose d'objectif dans le monde, mais serait relatif (à une histoire, des facteurs sociaux, notre système cognitif, etc.).
SupprimerOu encore qu'il n'existerait pas de manière absolument neutre de comparer les différentes théories entre elles, toutes seraient une "façon de voir le monde" qui en vaut bien une autre.
SupprimerOui ce sont des questions différentes.
SupprimerJe faisais simplement remarquer que le scientisme est une dérive, distincte d'une vraie approche scientifique.
Oui ce sont des questions différentes.
SupprimerJe faisais simplement remarquer que le scientisme est une dérive, distincte d'une vraie approche scientifique.
Nous sommes d'accord alors.
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