vendredi 3 juin 2016

Réduction et émergence

Voilà un moment que je n'ai pas posté sur ce blog, principalement par manque de temps (je suis en phase de rédaction de thèse). Toutefois pour ne pas le laisser à l'abandon, je m'autorise cet article sur le thème de la réduction et de l'émergence.

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Qu'est-ce qu'il y a dans le monde ? A première vue plein de choses : des objets (ceux de la vie courante), des êtres vivants. Ceux-ci ont des propriétés : leurs formes, leurs couleurs, ou, pour les êtres vivants, leur appartenance à une espèce par exemple.

Si on y regarde de plus près, on verra que les êtres vivants sont composés de cellules. Ces dernières sont elle-même constituées de différentes protéines et d'autres molécules. A en croire la physique et la chimie, ces molécules sont des arrangements particuliers d'atomes, et enfin au niveau le plus fondamental, de particules comme les électrons et les quarks, qui composent l'ensemble des objets que nous pouvons observer. Mais on trouve également dans le monde des entités mentales, comme des croyances et des désirs (et peut-être des entités plus abstraites, comme des institutions, des banques, des états), et celles-ci ont de nouvelles propriétés particulières. On peut se demander si nos états mentaux sont eux aussi composés de particules physiques, et si oui, en quel sens.

Tous ces objets existent-ils "vraiment" ? Nous ne parlons pas ici de la question du réalisme, auquel nous avons déjà consacré un article, mais plutôt, assumant le réalisme, de la question de savoir si ces objets existent de manière primitive, s'ils jouent un rôle propre dans la fabrique du monde, ou si, finalement, ils ne seraient "rien de plus" que des arrangements de matière, de particules physiques, qui à elles seules constitueraient "tout ce qui existe". C'est en fait la question du réductionnisme.

Le réductionnisme

Condylactis gigantea (Giant Anemone) red base
Il semble raisonnable de penser à propos des objets inertes qu'ils ne sont rien de plus que des arrangements de matière. Nous n'avons généralement pas besoin d'une théorie particulière, autre que la physique, pour décrire le mouvement de corps solides ou leurs diverses propriétés. Mais la question se pose autrement pour les êtres vivants auxquels nous attribuons des propriétés qui ne sont pas directement physiques et qui semblent obéir à des lois propres : un animal se comportera de telle manière en vue d'assurer sa survie par exemple (il cherche de la nourriture...). Et c'est un fait que nous utilisons des théories particulières pour décrire les êtres vivants et prédire leur comportement : en l'occurrence celles de la biologie.

On peut penser qu'en principe le comportement d'un animal pourrait être expliqué par la physique uniquement, et qu'on pourrait alors exprimer dans les termes de la physique ce en quoi consiste "chercher de la nourriture", ou d'autres notions issues de la biologie. Mais à ce jour, ça reste une pure position de principe. Enfin ce type de question se pose de manière particulièrement aiguë à propos des entités mentales (les désirs, les croyances, les perceptions conscientes) dont on peut avoir l'impression qu'elles jouissent d'une existence propre, indépendamment de ce qui est physique.

Nous voyons déjà que nous pouvons poser la question de la réduction d'au moins deux manière : nous pouvons la poser

  • à propos des objets du monde : les êtres vivants ne sont-ils que des arrangements de molécules ? Parlons de réduction ontologique (portant sur ce qui est).
  • à propos des théories sur ces objets : ce que nous dit la biologie peut-il être "traduit" ou expliqué en termes physiques uniquement ? Parlons de réduction épistémologique (portant sur ce qu'on connaît).

Il s'agit de questions différentes : il se pourrait, par exemple, qu'il soit impossible de réduire la biologie à la physique non pas parce que les êtres vivants seraient autre chose que des arrangements de matière, mais seulement parce qu'il existerait certaines limites de principe à la connaissance, du fait de la complexité des organismes biologiques, qui nous empêcherait de prédire le comportement de ces organismes uniquement à partir de leur constitution physique. La biologie serait en quelque sorte un "raccourci" qui nous permettrait de le faire autrement, par nos observations. Dans ce cas il y aurait bien une réduction des objets du monde vivant à leur constitution physique, mais pas de réduction possible de nos théories sur ces objets à la physique.

Atlas frontview 2013
A ces questions on peut apporter différentes réponses. On peut répondre par l'affirmative, c'est la position réductionniste. C'était la position de Descartes à propos des êtres vivants par exemple, qu'il considérait comme des automates très élaborés, mais rien de plus que des automates. Ou de manière similaire, on peut penser que nos états mentaux, comme nos émotions, ne sont rien de plus que des états de notre cerveau.

L'autre extrême consiste à être dualiste. C'était encore la position de Descartes, mais cette fois à propos de l'esprit : celui-ci relevait, pour Descartes, d'une substance particulière différente de la matière.

Le dualisme peut aussi être appliqué aux êtres vivants : certains auteurs ont défendu par le passé le vitalisme, ou l'idée qu'il y aurait quelque chose comme un "élan vital" qui animerait les organismes vivants, et qui serait distinct de leur constitution physique. Ce type de thèse est passé de mode avec l'avènement de la biologie moderne, mais elles ont existé.

L'émergentisme

Réduction ou dualisme (ou pluralisme) : sont-ce là les seules options à notre disposition ? Peut-être pourrait-on chercher à élaborer une voie médiane entre ces deux extrêmes. Il s'agirait à la fois de nier l'idée qu'il existe une substance particulière propre au vivant, ou à l'esprit, donc d'être moniste, mais sans pour autant accepter l'idée que le vivant ou l'esprit se réduise entièrement à un substrat physique.

On parle alors d'émergentisme : le vivant (ou l'esprit) serait émergent. Un être vivant serait en effet un corps composé d'atomes et de particules, mais il serait aussi "plus que ça". L'arrangement particulier des particules qui constituent un être vivant ferait apparaître de nouvelles propriétés, biologiques, qui ne pourraient être entièrement expliqués sur seule la base de ces constituants physiques. Ou encore, pour reprendre la maxime classique de l'émergentisme : le tout est plus que la somme des parties.

Rock Strata
L'émergentisme est souvent associé à une vision de la nature en niveaux : les niveaux invoqués peuvent varier suivant les auteurs, mais on pourrait affirmer, par exemple, qu'il y a le niveau des particules fondamentales de la physique, celui des atomes et des molécules de la chimie, celui des êtres vivants unicellulaires, puis multicellulaires de la biologie, et peut-être encore des niveaux d'ordre supérieur, comme des groupes sociaux, des écosystèmes ou la biosphère. L'idée que la nature soit organisée en niveau n'est pas propre aux émergentistes, mais selon ces derniers, chaque niveau aurait ses lois propres (et propriétés associées) qui, bien que contraintes par celles du niveau inférieur, ne se réduiraient pas strictement à elles.

Ce qui caractérise l'émergence est donc l'idée que quelque chose de nouveau pourrait apparaître à un certain niveau de la réalité qui ne puisse être entièrement prédit à partir d'une connaissance du niveau de base.

L'idée d'émergence est ancienne (on attribue la maxime "le tout est plus que la somme des parties" à Aristote) mais elle semble presque contradictoire : comment donc les propriétés biologiques ou mentales pourraient ne pas être foncièrement différentes de propriétés physiques, contrairement à ce qu'affirme le dualiste, mais pas non plus identiques comme le voudrait le réductionniste ? Ni différent, ni identique : comment donner sens à ça ?

C. Lloyd Morgan. Photogravure by Synnberg Photo-gravure Co., Wellcome L0023072
Elle a pourtant connu son heure de gloire au début du 20ème siècle chez les émergentistes britanniques (dont les figures les plus importantes sont Lloyd Morgan, Samuel Alexander et Charlie Broad). Le mouvement a fini par s'essouffler, mais le terme d'émergence est revenu à la mode ces derniers temps dans les milieux scientifiques. Il s'agit alors généralement d'envisager une émergence épistémologique, associée au fait qu'il existe certaines limites dans nos capacités à prédire l'évolution de systèmes complexes.

Dans cet article nous allons nous intéresser à l'opposition entre réduction et émergence, en essayant de savoir s'il est vraiment possible d'obtenir un concept d'émergence cohérent.

La réduction inter-théorique

Sur le sujet, voir également les entrées grand public et académique consacrées de la toute nouvelle encyclopédie philosophique en ligne

Commençons par nous intéresser à la réduction des théories. Il s'agit de savoir si les lois d'une théorie qui s'intéresse à des objets de "haut niveau", ou de manière générale les processus causaux et les propriétés invoquées par ces théories, peuvent être entièrement expliqués ou déduits à partir d'une théorie plus fondamentale.

Un exemple typique de réduction théorique est la la réduction de la thermodynamique, qui s'intéresse notamment aux phénomènes de transferts de chaleur, à la physique. Il est possible en effet de retrouver certaines lois de la thermodynamique en considérant que les gaz ou les liquides sont constituées de molécules, et en associant la température du gaz ou du liquide à l'énergie cinétique moyenne des molécules qui le constituent (c'est à dire leur "agitation"). Mais on peut invoquer d'autres exemples : la réduction des lois de l'optique à l'électromagnétique, ou encore des cas de théories qui se succèdent, comme la réduction de la mécanique de Newton à la mécanique quantique.

Embers 01
Nagel a proposé une manière de comprendre la réduction d'une théorie à l'autre comme suit :
Condition de connectabilité
Chaque propriété de la théorie a réduire (par exemple pour la thermodynamique, la température) doit pouvoir être connectée à des propriété de la théorie fondamentale (l'énergie cinétique moyenne des molécules) par des "lois-pont".
Condition de déductibilité
Les lois de la théorie à réduire doivent pouvoir être déduite des lois de la théorie fondamentale et des "lois-pont"

Dans le cas où une telle réduction est possible, par exemple quand il s'agit de réduire la loi des gaz parfaits de la thermodynamique à la physique statistique, on pourrait dire que les propriétés de la théorie réduite dérivent entièrement de la théorie fondamentale : la température n'est "rien de plus" que l'agitation moléculaire.

Bien des auteurs on remarqué que cette conception de la réduction est trop simpliste pour s'appliquer dans tous les cas. Généralement, ce ne sont pas les lois de la théorie à réduire qui pourront être dérivées, mais des lois approximatives. Pour reprendre le cas de la thermodynamique, la seconde loi spécifie que l'entropie d'un système physique isolé ne peut qu'augmenter au cours du temps (ce qui veut dire, en gros, qu'il existe de moins en moins d'énergie utilisable dans ce système, par exemple pour faire tourner une machine à vapeur) . Hors cette loi n'est pas strictement déductible de la physique : au mieux on peut déduire qu'il est fortement probable que l'entropie augmente (et encore, cela requiert une hypothèse du passé : nous en avions parlé ici). Un autre exemple est la réduction de l'optique à l'électromagnétique : les lois de l'optique ne tiennent pas compte des effets magnétiques que l'électromagnétique prend en compte. De manière générale, la réduction est approximative.

Mais ne pinaillons pas. Le modèle de Nagel a été amélioré par Schaffner pour tenir compte de cela.

Richmond Bridge Panorama
Cependant certains problèmes se posent toujours pour cette façon de concevoir la réduction. D'abord, les "lois-pont" semblent un peu venir de nulle-part, et on pourrait se demander ce qui nous permet de se faire correspondre ainsi des propriétés. Ensuite et surtout, si cette conception semble bien s'appliquer à certains cas, on peut se demander en quelle mesure elle pourrait s'appliquer, par exemple, à la biologie, où il n'existe pas forcément comme en physique un ensemble fixe de lois générales à la théorie. En outre ce type de dérivation est rarement réalisée par les scientifiques. On peut penser qu'elle serait possible en principe, mais ça reste un voeux pieux. Cette façon de concevoir la réduction, assez stricte, semble finalement inadaptée.

La réduction fonctionnelle

Pour autant les biologistes peuvent affirmer que leur discipline se réduit à la chimie et à la physique en un certain sens, mais le type de réduction semble différent : il ne s'agirait pas d'une réduction théorique au sens de Nagel, mais plutôt d'une réduction explicative, consistant à produire des explications causales à certains phénomènes à partir de leurs constituants et de leurs interactions. Ces explications s'appliquent au cas par cas plutôt qu'à l'ensemble de la théorie.

Kim a proposé une façon de concevoir la réduction explicative qui est la suivante :

  • Les propriétés de haut niveau (de la théorie à réduire) doivent être redéfinies fonctionnellement, en terme de rôle causal. Par exemple, la chaleur est redéfinie par ses capacités à provoquer des sensations de chaleur et à faire fondre la glace. Un gène est défini par sa capacité à donner lieu à la synthèse d'une certaine protéine. Un acide est défini par son goût, et sa capacité à dissoudre les métaux et à entrer dans certaines réactions chimiques.
  • On identifie empiriquement ce qui, dans le monde, satisfait ce rôle causal : par exemple, les composés chimiques qui effectivement permettent de dissoudre des métaux.
  • On explique dans la théorie fondamentale (par exemple la physique) ce qui permet aux éléments ainsi identifiés de remplir en effet ce rôle causal

Lemon
Une différence importante avec la réduction au sens de Nagel est qu'on n'exige pas que les propriétés de haut niveau (chimiques, biologiques) puissent être strictement définies en termes des propriétés de base (physique) par une loi-pont. Il nous suffit d'identifier empiriquement les éléments correspondant au cas par cas, ce qui est moins contraignant.

Ainsi en chimie, on peut définir fonctionnellement un acide comme une molécule qui est susceptible de céder un proton. Ceci nous permet de savoir comment les acides se comportent dans diverses réactions chimiques. Mais au fond peu importe la façon dont cette fonction est réalisée. Il peut exister de multiples molécules différentes qui, en effet, sont susceptibles de céder un proton, peut-être pour des raisons physiques différentes, et nous n'avons pas besoin de décrire dans les termes de la physique quantique ce que ces molécules diverses ont exactement en commun. Nous n'avons pas même besoin, pour affirmer que la chimie se réduit à la physique, de faire une liste exhaustive de toutes les molécules qui pourraient être des acides (il se peut que nous en découvrions de nouvelles demain). Il nous suffit de pouvoir expliquer de manière physique, dans chaque cas identifié par l'expérience, ce qui fait que la molécule concernée est, en effet, susceptible de céder un proton dans une réaction chimique.

La réalisabilité multiple

On parle à ce sujet de réalisabilité multiple. Une propriété de haut-niveau (chimique, comme "être un acide", ou biologique) peut être réalisée de multiples façons sur le plan physique.

On trouve de nombreux exemples de réalisabilité multiple en biologie, où par exemple plusieurs protéines différentes peuvent jouer le même rôle fonctionnel au sein d'une cellule ou d'un organisme. Un exemple est celui des récepteurs des couleurs dans nos yeux : nous en possédons de trois sortes (vert, rouge, et bleu). Or les récepteurs du vert peuvent varier d'une personne à l'autre en fonction de leur patrimoine génétique. Il s'agit alors de molécules physiques différentes, mais jouant le même rôle pour l'organisme : celui de détecter le vert. On trouve également, d'ailleurs, le cas inverse : un même objet physique pourra remplir des fonctions différentes suivant le contexte. Par exemple, une même séquence d'ADN pourra coder pour différentes protéines suivant la cellule dans laquelle elle se situe.

Il n'y a donc généralement pas de "traduction" terme à terme entre la biologie et la chimie. Et pourtant, il y a réduction explicative. Si la réalisabilité multiple pose problème pour la réduction telle que conçue par Nagel, puisqu'elle empêche d'identifier une propriété de haut niveau à une unique propriété complexe du niveau fondamental (il peut y en avoir plusieurs), elle fonctionne parfaitement avec la réduction explicative selon Kim.

Abandoned concrete factory mechanism
L'idée qu'on pourrait tirer de tout ça pourrait être que les théories de haut-niveau, comme la chimie ou la biologie, nous servent essentiellement à dévoiler des réseaux fonctionnels dans le monde dans lesquels certains objets physiques jouent un rôle. C'est bien la constitution physique de ces objets qui leur permet de jouer ce rôle au sein de ce contexte, mais le fait que ce rôle pourrait être joué par un autre objet ayant une constitution différente fait que le réseau fonctionnel est relativement autonome vis-à-vis de la façon dont il est réalisé, et c'est ce réseau fonctionnel, non la façon dont il est réalisé, qu'étudient les sciences comme la biologie ou la chimie. Ce réseau fonctionnel peut aussi être robuste au cours du temps : il persiste malgré les changements qui peuvent avoir lieu à l'échelle physique.

On voit poindre ici l'idée d'émergence : le réseau fonctionnel et les rôles associés ne sont pas identiques à une constitution physique (il n'y a pas de traduction biologie-physique systématique de type à type, et une réduction à la Nagel ne fonctionnerait pas), et pourtant ils ne sont pas non plus différents d'objets physiques (chaque instance particulière d'un type est bien réalisé par une constitution physique). Ni différent, ni identique, ni dualisme, ni réduction complète : c'est bien ce paradoxe que l'émergence promettait de résoudre.

La notion de réduction fonctionnelle à la Kim, plutôt que théorique à la Nagel, nous rapproche donc de l'idée d'émergence. Mais est-ce suffisant pour dire que quelque chose de véritablement nouveau, d'imprévisible, apparaîtrait à un certain niveau ? Finalement si une explication est toujours possible au cas par cas, il s'agit bien de réduction.

L'émergentisme en sciences

Comment concevoir que quelque chose de véritablement nouveau apparaisse à un certain niveau qui ne puisse être expliqué à partir du niveau inférieur ? Le problème, pour l'émergentisme, est qu'on peut toujours craindre qu'un défaut d'explication soit seulement temporaire.

Fleur de sel2
Les exemples qui motivaient initialement l'émergence pouvaient être issus de la chimie : Mill, au 19ème siècle, observait que le chlorure et le sodium forment du sel. Or les propriétés du sel ne semblent pas être une simple composition des propriétés du chlorure et de celles du sodium : leur combinaison produit quelque chose de nouveau (par exemple, le chlorure et le sodium sont tous deux toxiques, et pourtant le sel ne l'est pas). Mais aujourd'hui, à la lumière de la chimie moderne, on pourra douter qu'il s'agit d'un réel cas d'émergence, c'est à dire que les propriétés du sel seraient réellement imprévisibles à partir d'une connaissance de sa composition.

Si la notion d'émergence a connu un renouveau vers la fin du 20ème siècle, c'est d'une part parce que les sciences comme la biologie, ou la thermodynamique elle-même, dont on avait pu penser un temps qu'elles pourraient en principe se réduire (au sens de Nagel) à la physique fondamentale, se sont avérée bien plus complexes qu'il n'avait été envisagé jusqu'alors, leur développement allant vers toujours plus d'autonomie plutôt que l'inverse. (Certains auteurs défendent aujourd'hui une émergence en chimie. Ils affirment par exemple que la manière dont on dérive les propriétés de molécules sur la base de leur constitution physique ne peut se faire sans prendre en compte des concepts non physiques ou des hypothèses qui sont dérivées de l'expérience plutôt que de la physique seule.)

D'autre part les physiciens ont attiré l'attention sur des phénomènes associés à des concepts comme celui de bifurcation, de transition de phase, de brisure de symétrie mettant en avant une imprévisibilité de principe des phénomènes physiques (théorie du chaos, science de la complexité...).

LogisticMap BifurcationDiagram
Est-ce à dire que certains arrangements complexes de matière possèdent d'authentiques pouvoirs causaux qui ne se réduisent pas à la combinaison de ceux des propriétés physiques fondamentales ?

Pas forcément, et même au contraire : la théorie du chaos déterministe invoquée par les physiciens implique qu'un système parfaitement déterministe, c'est à dire dont l'évolution est entièrement déterminée par les lois de la physique, peut être pratiquement imprévisible. En effet dans ce type de système, les divergences d'évolution sont exponentielles, ce qui signifie que chaque fois qu'on veut simplement étendre notre prévision de l'évolution du système d'une certaine durée fixe, il faut multiplier d'un facteur fixe notre connaissance de son état initial, et on arrive assez rapidement à des limites pratiques. Mais ceci est vrai même si ces systèmes sont parfaitement déterministes : ce type de limites à la prévisibilité n'est pas liée au fait que de nouveaux pouvoirs causaux apparaîtraient réellement.

Autrement dit les concepts invoqués supportent plutôt une émergence épistémologique : elle concerne notre possibilité de réduire nos représentations "de haut niveau" à nos représentations physiques "de bas niveau", mais elle n'impliquent pas que quelque chose de réellement nouveau apparaisse à un certain niveau. Seulement que nous avons besoin de nouvelles théories pour décrire ce qu'il s'y passe de manière efficace.

Un émergentisme ontologique est-il possible ?

Chimp Brain in a jar
On aurait peut-être aimé avoir plus, et doter les entités de haut niveau réalisées par une base physique d'un véritable pouvoir causal propre sans se voir obligé d'être dualiste (notamment si on veut appliquer l'émergence à notre esprit : n'a-t-on pas l'impression que nos croyances et désirs permettent réellement d'agir sur le monde ? Pourrait-on même faire science si ce n'était pas le cas ?). Cependant Kim (encore lui) proposera un argument pour montrer que la chose est impossible à obtenir si l'on accepte certains principes (voir cette note de lecture du livre de Kim). Il s'agit, en l'occurrence, des suivants :
le principe de survenance
toute différence dans les propriétés de haut niveau provient d'une différence dans les propriétés physiques
le principe de clôture causale du monde physique
tout effet physique a une cause physique suffisante.

Si on accepte ces deux principes, on peut montrer que les propriétés de haut niveau ne peuvent avoir de pouvoirs causaux propres qui se distinguent de ceux de leur base physique : c'est toujours le monde physique qui fait "tout le travail". De quoi douter de l'idée que quelque chose de véritablement nouveau apparaisse à un certain niveau.

Le problème est que le principe de survenance, suivant lequel toute différence des propriétés de haut niveau provient d'une différence dans leur base physique (c'est à dire qu'il est inconcevable que deux choses physiquement identiques aient des propriétés émergentes différentes), et le principe de clôture causale, semblent être le minimum si l'on ne veut pas être dualiste ou pluraliste. Si c'est le cas il n'y aurait pas vraiment de voie moyenne entre l'émergence épistémologique et le dualisme, et les trois seules positions cohérentes seraient : le réductionnisme, l'émergentisme épistémologique et le pluralisme.

Melting icecubes
Certains auteurs ont cependant tenté de penser l'émergence en rejetant le principe de survenance, c'est à dire en niant que la base physique suffise à déterminer les propriétés émergentes (on pourrait parler de pluralisme des propriétés, celles-ci pouvant être identifiées par leurs pouvoirs causaux, plutôt que des substances). On trouve par exemple chez O'Connors l'idée que l'émergence serait dynamique : la propriété émergente dépendrait non seulement de la base physique qui la réalise, mais aussi de propriétés émergentes du passé qui la causent.

Une autre idée, chez Humphreys, est qu'une propriété émergente fasse disparaître les pouvoirs causaux habituels de ses constituants physiques : ceux-ci ne se comportent plus de la même manière une fois qu'ils sont intégrés dans un tout. On parle alors de fusion. Le phénomène d'intrication quantique serait un exemple de fusion.

Reste qu'aujourd'hui, même si l'idée d'émergence est assez en phase avec nos intuitions scientifiques et pré-scientifiques (puisqu'on peut avoir dans l'idée que les objets et êtres vivants qui nous entourent existent "réellement" et ont une efficacité causale propre, même s'ils sont ultimement composés de particules physiques), l'idée qu'il puisse s'agir d'autre chose que d'une irréductibilité de nos représentations ne fait pas consensus.

18 commentaires:

  1. Bonjour, je m'interroge sur la conclusion de votre article. J'ai l'impression que la notion d'émergence ne doit pas être confondue avec celle de "vitalisme" ou "d'animisme" qui sont les visions intuitives.

    L'émergence est plus un phénomène de complexité, de mise en relation des systèmes entre eux et des boucles causales entre les niveaux (sujet de prédilection de Douglas Hofstadter). Le réductionnisme ne permet pas d'expliquer la biologie qui se définit comme la manifestation d'un devenir en apparition, alors que la physique ne peut traiter que de phénomènes réversibles (avant la thermodynamique) et de systèmes soumis à l'entropie.

    Le mouvement est, il me semble, parti des explications des transitions de phases selon la résilience des systèmes étudiés (théorie de Ilya Prigogine) s'est dirigé vers l'éthologie (Edgar Morin) pour observer un renouveau des théories évolutionnistes qui abreuvent maintenant toutes les sciences biologiques (psychologie, médecine, etc.).

    Comme toujours dans les sciences, il a fallu attendre des idées issues des mathématiques (les fractales, par exemple) pour faire émerger (justement :) ) des concepts qui ne sont pas intuitifs du tout, qui s'étudient scientifiquement (soumis à la critique comme en psychologie évolutionnistes), mais qui sont loin des visions "naïves" du monde, car on ne projette pas nos désirs, mais on étudie les idées.

    D'ailleurs le terme d'émergence s'utilise beaucoup en théories des organisations sociales, il me semble, et dans les réflexions modernes sur l'organisation et le management du travail ("teal organisations", en anglais).

    Désolé pour la longueur de mon message, mais je voulais essayer d'étayer mes propos :)
    Du coup, j'ai l'impression que la notion d'émergence est assez éloignée de notre intuition, surtout que nous sommes baignés dans une culture réductionniste cartésienne, et nous avons du mal à donner aux systèmes une existence séparée de ses parties, contrairement à ce qu'en disait Aristote dans votre citation :)

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  2. Petit ajout :)

    Quand je parle des teal organisations c'est pour que les gens se forment à ce sujet, tellement c'est loin de nos façons de penser habituelles et de notre tournure d'esprit culturelle...

    L'émergence doit être soumise à la critique scientifique, mais j'ai vraiment l'impression qu'il y a derrière le concept quelque chose de plus concret que la projection de nos désirs.

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    1. Merci pour ce commentaire très détaillé. En effet ce qui serait réellement intuitif (au sens de vision du monde pré-scientifique) serait peut-être le vitalisme. Ce que je veux dire dans ma conclusion, c'est plutôt quelque chose comme réconcilier une image scientifique (qui exclurait le vitalisme) et une image manifeste (au sein de laquelle on attribue des pouvoirs causaux et des intentions aux êtres vivants). Rendre justice à nos intuitions communes ne veut pas seulement dire projeter nos désirs (ce serait très "réducteur" ;-)), mais aussi essayer de développer une vision unifiée du monde : pour moi il n'y a rien là de péjoratif. C'est bien ce que vous faites quand vous parlez de pouvoir expliquer le biologique comme "manifestation d'un devenir en apparition" me semble-t-il. Je ne sais pas si cette définition du biologique relève de l'intuition, mais ça me semble être le cas.

      Après qu'on parvienne à une telle image unifiée en ayant recours à des concepts sophistiqués et éloignés de nos intuition, qui demandent un apprentissage pour être maîtrisés, c'est une autre histoire. Le concept d'émergence en lui-même est à distinguer des théories sophistiquées qu'on met en oeuvre pour l'appréhender, et je pense que ce concept lui-même est assez abordable, en tout cas il est assez ancien, si on le comprend comme l'idée que "de nouvelles propriétés apparaissent quand la matière s'organise".

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    2. J'ai légèrement modifié la conclusion en tenant compte de votre commentaire.

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  3. Merci de votre réponse.

    Au risque d'insister, j'ajouterais que le fait que la biologie se définit par un devenir me semble être assez récent en théorie des idées (mais je ne suis pas un expert :) ).
    Jusqu'à Darwin (environ, parce qu'on peut parler de Lamarck, Lyell, etc., je résume ;) ) on pensait que les espèces étaient fixes, que tout se résumait en cycles, en avait une vision eschatologie du monde, etc.
    Enfin... On pensait rarement tout ça à la fois :), mais, ce sont des idées qui sont nées, se sont nourries les unes des autres, dans un phénomène... d'émergence ;)

    Ça ne semble pas si intuitif, ni pré-scientifique, au contraire... l'espérance de vie humaine est si courte, que toute transformation ne se laisse pas appréhender sans la pensée critique et le temps long (des millions d'années d'évolution) qui a été refusé par le désir des physiciens et des mathématiciens pendant très longtemps :)

    Il a fallu le réductionnisme pour comprendre le phénomène d'émergence, d'après moi, et c'est ce concept d'émergence qui a circonscrit le réductionnisme :)

    En tout cas, votre article était très intéressant et merci d'avoir pris le temps de me répondre.

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    1. Ok, j'avais mal compris ce que vous entendiez par "devenir" (je pensais à l'évolution d'un être vivant au cours de sa vie, qui caractérise aussi le monde biologique). Je ne suis pas certain qu'on ait besoin de la notion d'émergence pour rendre compte de l'évolution des espèces. Après tout en physique, on a aussi une "flèche du temps" thermodynamique, et cosmologique. Il est vrai que certains physiciens et philosophes de la physique parlent "d'émergence du temps" (notamment dans le cadre de la gravité quantique où certaines théories proposées ne spécifient plus de dimension temporelle du tout) mais ça reste spéculatif. A noter également que la micro-évolution est connue depuis bien longtemps, notamment à travers l'élevage et la sélection artificielle. On néglige souvent un certain nombre de thèses philosophiques qui préfiguraient Darwin. Donc tout ça n'est pas si contre-intuitif à mon avis... Le réductionnisme au sens large est également une idée très ancienne, avec par exemple l'atomisme chez Démocrite. Après tout dépend bien sûr de ce qu'on met derrière les concepts, et il est vrai que la façon moderne de comprendre l'émergence hérite de conceptions plus récentes du réductionnisme, issues par exemple de la physique de Newton et de son application à la thermodynamique au 19ème siècle. Il est certain que ces deux concepts se répondent.

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    2. Je crois qu'on est d'accord :)

      Merci pour toutes ces explications, c'était très intéressant.

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  4. je pensais que le point de vue opposé au réductionnisme était le holisme ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Holisme ) , qui me semble en effet avoir beaucoup de point commun avec l' "émergentisme" ( https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mergence ). Me trompé-je ?

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    1. C'est une bonne question. Le contraire du holisme est la séparabilité mais c'est vrai que les deux distinctions sont proches.

      La principale différence est qu'on peut très bien avoir une théorie physique holiste (par exemple en mécanique quantique, des particules intriquées peuvent être considérées comme un "tout" inséparable) mais on reste toujours dans une description physique, tandis que la notion d'émergence implique l'apparition de nouvelles propriétés et de l'imprévisibilité. La notion d'émergence est donc plus spécifique : on peut avoir holisme sans émergence.

      A l'inverse la notion de séparabilité suppose une réduction compositionnelle, mais la notion de réduction est moins spécifique que ça. Typiquement, certains positivistes logiques au début du 20ème siècle envisageait de réduire nos théories à des régularités dans nos observations, c'est à dire aux données des sens. Il ne s'agit pas de réduction dans la composition matérielle des objets, mais on parle quand même de réduction. De même pour la réduction interthéorique en générale : la réduction de la mécanique de Newton à la relativité n'est pas compositionnelle.

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  5. J'ai beaucoup aimé cet article. Merci Quentin.

    J'ai deux remarques/questions:
    L'une à propos du principe de survenance: "toute différence dans les propriétés de haut niveau provient d'une différence dans les propriétés physiques"
    Cette phrase a-t-elle un sens lorsqu'on a démontré l'impossibilité théorique de connaître les propriétés physiques dont il est question? (par exemple la vitesse et la position d'une particule élémentaire)
    J'ai bien compris que cette phrase est posée comme un principe, mais pourquoi l'accepterait-on?
    Ce n'est même pas un principe opérationnel: on peut très bien faire de la biologie sans faire de la physique.

    Ma seconde remarque:
    Le réductionnisme se base implicitement sur le principe de séparabilité: on doit pouvoir "isoler" lesdites "propriétés physiques".
    Autrement dit, lorsqu'on procède par la méthode réductionniste, on postule un cadre spatio-temporel fixe:
    on ne raisonne que sur une petite tranche de temps et d'espace, et on ignore les interactions entre des éléments lointains dans le temps ou l'espace.
    Par exemple, on essaiera d'"isoler" des éléments ou des propriétés physiques qui sont supposés être la cause d'un phénomène émergent.
    Or le fait d'"isoler" des éléments physiques dans le temps ou dans l'espace est loin d'être une opération neutre: on présuppose la "séparabilité" (voir le paradoxe EPR et l'expérience d'Alan Aspect).
    Autrement dit le holisme est tout de même une alternative au réductionnisme et laisse la place à la possibilité d'une émergence:
    si tout peut être la cause de tout et vice-versa (rétro-actions), il est difficile d'affirmer ce qui est la cause de quoi.
    En biologie, l'évolution est un excellent exemple: lequel est la cause de l'autre: l'oeuf ou la poule? ;)

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    1. Sur la survenance : en effet il ne s'agit pas d'un principe opérationnel mais d'un présupposé. Il existe certaines limites au fait de pouvoir connaître toutes les propriétés micro-physiques en mécanique quantique avec une précision arbitraire. Mieux : on peut considérer que la relation d'intrication quantique est non survenante (les corrélations dans un système intriqué ne proviennent pas de propriétés des parties), ce qui rejoint la deuxième partie de votre question. Ceci dit ces phénomènes peuvent être mis en évidence à une échelle extrêmement petite et sur des systèmes isolés de leur environnement, et on a certaines raisons de penser qu'ils ne sont pas pertinent pour expliquer le biologique. A la limite on pourrait parler de réduction du biologique à la chimie plutôt qu'à la physique. On peut obtenir en pratique une bonne réduction explicative, par exemple du comportement d'une protéine à partir de la chimie.

      Sur le second point ma réponse est à peu près la même : en pratique on n'a pas besoin de tenir compte des éléments physiques très éloignés dans l'espace pour expliquer l'évolution d'un système physique suffisamment grand et non isolé de son environnement (la décohérence quantique implique que les corrélations qui pourraient exister entre des éléments éloignés disparaissent très rapidement en étant en quelque sorte "diluées" dans l'environnement).

      Ceci étant dit, on explique aujourd'hui certains processus biologiques en ayant recours à des phénomènes quantiques (https://en.wikipedia.org/wiki/Quantum_biology) et rien n'exclue que ces phénomènes joue un rôle plus important qu'on le pense dans les systèmes complexes, la décohérence n'étant pas si systématiquement applicable que ça. Dans l'idée j'aurais personnellement tendance à vous suivre mais c'est en fait une question empirique, ça reste spéculatif, et ce n'est pas l'opinion majoritaire parmi les scientifiques.

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    2. J'évoquais simplement le paradoxe EPR pour mettre en évidence le fait que les principes de survenance et de clôture causale sont très discutables car ils partent d'une vision du monde qui présuppose la séparabilité (et du coup, ils aboutissent logiquement au réductionnisme).
      En résumé, on pose un principe qui contient en lui-même les prémisses de la conclusion à laquelle on aboutit.

      Si l'exemple du paradoxe EPR vous paraît trop limité au domaine quantique, je peux donner d'autres exemples non quantiques ou le présupposé de séparabilité ne s'applique pas non plus:

      Pour illustrer le chaos, Lorentz avait posé la question
      "Un battement d'ailes de papillon au Brésil peut-il déclencher une tornade au Texas ?" (normalement, on rejetterait cette cause comme "trop éloignée" dans l'espace et donc "non pertinente", illustration du présupposé de séparabilité réductionniste)

      Par ailleurs, personne ne prétend que les battements d'ailes du papillon sont, à elles seules, la cause de la tornade.

      Or, c'est bien la "causalité" dont il est question dans le principe de clôture causale:
      "tout effet physique a UNE cause physique suffisante."

      La phrase en elle-même suggère une relation de causalité "réductrice" entre les phénomènes physiques: une relation purement mono-causale (dans un but évident de simplification): le papillon a provoqué la tornade.

      La plupart des phénomènes chaotiques/complexes (qui sont ceux auxquels nous avons affaire à notre échelle) ont de multiples causes et qui sont souvent simultanées.

      Étonnamment, il se trouve que les sciences cognitives ont démontré l'inaptitude de notre cerveau à saisir intuitivement les concepts de multi-causalité et de simultanéité.

      Je veux en venir au fait que les principes réductionnistes dont il est question semblent plutôt être une conséquence de la manière dont notre cerveau fonctionne qu'une réalité du monde physique.

      Dans le monde physique, les causes d'un phénomène sont souvent multiples, parfois simultanées, parfois lointaines dans l'espace (intrication quantique, météo) ou dans le temps (loi de l'évolution: l'oeuf est-il la cause de la poule? Oui, mais en raison d'une longue histoire évolutive. Pourquoi a a-t-il plus de matière que d'antimatière dans l'univers alors que celles-ci étaient présentes en quantité égales au moment du big-bang?)

      Bref, c'est ce que je voulais dire par "tout peut être la cause de tout et vice-versa (rétro-actions)".
      Si c'est le cas, le concept de causalité directe est questionnable et il faut le remplacer par une causalité plus subtile, multiple, indirecte et rétroactive.

      Bien que cela soit insuffisant pour justifier l'introduction du concept d'émergence (des propriétés nouvelles qui ne soient pas issues la somme des parties) c'est tout de même un début.
      En effet, si les relations de causalité sont tellement indirectes que le comportement d'un système finit par dépendre davantage des propriétés du système ou de sa propre histoire (plutôt que du comportement individuel de ses composants) alors cela pourrait ouvrir la porte au concept d'émergence, voir même de libre arbitre, puisque le système devient en partie sa propre cause. (il est une nouvelle cause émergente)

      Je m'égare ? :)

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    3. Le chaos déterministe ne remet pas en cause le principe de clôture causale du monde physique. Il n'est pas question de dire que la cause doit être physiquement simple, donc ça n'exclue pas les causes multiples, ni le fait que l'histoire passée du système soit la principale cause de son évolution. Ce qu'exclue le principe, c'est l'idée qu'il pourrait y avoir des causes non physiques. C'est suffisant (avec la survenance) pour montrer que le physique fait tout le travail causal.

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    4. Oui c'est suffisant en effet.
      Je ne prétend pas d'ailleurs qu'il existe des causes non physiques.
      Je dis simplement que la remise en cause du concept de causalité "simpliste" laisse la porte ouverte au concept d'émergence (quelque chose de nouveau pourrait apparaître à un certain niveau de la réalité qui ne puisse être entièrement prédit à partir d'une connaissance du niveau de base).

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    5. La causalité plus subtile dont je parle, plus "circulaire" , plus "rétroactive" permet même d'inverser la logique déterministe-réductionniste:

      Quelque chose de nouveau peut apparaître à un certain niveau de la réalité qui puisse être prédit à partir d'une connaissance du niveau supérieur. (le tout ayant une influence plus grande que les parties qui le composent).
      Ce sont les phénomènes de "résonances" qu'évoque Ilya Prigogines: la somme des petites interactions créé un phénomène collectif auxquelles sont soumises les particules de l'ensemble du système uniquement parce qu'elles sont nombreuses et font partie d'un même système.
      C'est le cas des bulles de savon par exemple.

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    6. Peut-être que vous pensez à quelque chose comme de la causalité descendante, mais c'est justement le genre de chose que l'argument de Kim permet d'exclure. Ce qu'il montre c'est qu'on a besoin de plus que ça (par exemple de nier la survenance) pour vraiment attribuer un pouvoir causal à des propriétés émergentes. Je ne sais pas quelle distinction vous faites entre causalité "simpliste" et "subtile", mais dans tous les cas l'idée est que l'état physique d'un système (une bulle de savon) est causé par son état physique à l'instant précédent, plus éventuellement celui de son environnement, et le fait qu'il y ait des rétroactions ne change pas vraiment la donne sur ce plan. Au mieux les rétroactions impliquent une imprévisibilité, donc peut-être une émergence dans nos représentations plutôt que dans la réalité.

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    7. "Il y a besoin de nier la survenance pour attribuer un pouvoir causal à des propriétés émergentes": oui c'est exactement ce que je fais, comme je l'ai dit dans mon second commentaire, le principe de survenance présuppose des prémisses qui conduisent tout droit à conclure au réductionnisme (et donc à nier la possibilité d'une émergence)

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    8. Oui mais parler de rétroactions etc. ne suffit pas.

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