Bienvenu sur ce nouveau blog. Il s'agit d'un blog de vulgarisation de la philosophie des sciences.
Oui, un blog de vulgarisation philosophique... N'est-ce pas une drôle d'idée ?
On comprend tous l'intérêt qu'il peut y avoir à vulgariser la science : rendre accessible au grand public des sujets parfois techniques, qui demandent une certaine maîtrise pour être appréhendés, mais dont il est possible de donner une vue d'ensemble qui ne trahisse pas trop l'esprit des initiés.
Mais la philosophie ?
Beaucoup s'imaginent qu'il n'est pas nécessaire d'acquérir un savoir particulier pour s'occuper de questions philosophiques : celles-ci sont, d'emblée, accessibles à tous. Le problème corps-esprit, la nature du bien et du mal, de la vérité, l'existence de Dieu... On voit bien ce que c'est. Chacun peut se faire une opinion sur le sujet, et à vrai dire, quelle que soit cette opinion, il y aura bien un philosophe pour la soutenir. Car, pense-t-on, il n'y a pas de consensus possible en philosophie, pas de progrès non plus : seulement un ensemble de doctrines qui cohabitent et se renvoient la balle. A chacun de se faire une opinion propre, de se situer dans ce paysage.
La philosophie a-t-elle besoin d'être vulgarisée ?
En fait cette image de la philosophie est entièrement fausse.
D'abord la plupart des positions "naïves" sur les sujets philosophiques ont été précisées, nuancées, ou parfois simplement rejetées avec le temps. Ou bien on a pu montrer que la question était mal formulée, qu'elle méritait d'être abordée sous un angle différent, voire purement et simplement dissoute. Les philosophes ont travaillé à définir les termes, à élucider les concepts afin de rendre ces questions intelligibles, afin de dessiner plus clairement l'espace des possibilités conceptuelles. Ce genre de travail de clarification est certainement un progrès : il peut, par exemple, permettre l'avènement de nouvelles disciplines scientifiques ou de programmes de recherche, au sens le plus général possible du terme.
En effet ce sont souvent des principes métaphysiques qui sous-tendent la façon dont sont pratiquées les différentes disciplines scientifiques (par exemple l'atomisme, le naturalisme) et la plupart des révolutions scientifiques, celles initiées par Darwin, Newton ou Einstein, s'inscrivent dans une longue tradition de discussions philosophiques. On doit les fondements des mathématiques et de la logique moderne, par exemple, aux travaux de Frege, Russell ou Whitehead. Très souvent les philosophes préparent le terrain des scientifiques quand ils ne participent pas directement, au moment de l'élaboration de nouvelles théories, à surmonter les difficultés d'interprétation ou les problèmes conceptuels qu'elles soulèvent. Bien sûr, ces apports ont lieu également dans l'autre sens : les avancées scientifiques nourrissent en retour les réflexions philosophique. Mais, peut-être parce que certaines idées autrefois novatrices finissent par devenir des lieux communs, on a trop tendance à oublier l'importance de ce travail de défrichage conceptuel une fois les théories scientifiques bien installées et couronnées de succès...
A l'issue de ce travail de clarification, il s'avère souvent que les positions naïves qu'on pouvait adopter en premier lieu face à une question philosophique ne sont plus vraiment soutenables (ou bien elles ne sont pas assez précises pour vraiment faire sens. Le dualisme, par exemple, se déclinera en dualisme de la substance ou des propriétés). Bien sûr on pourra toujours trouver un philosophe pour soutenir une position proche de la nôtre, mais il s'agira souvent d'une position bien plus fine et nuancée, faite de compromis ou de synthèses innovantes, et ainsi capable de répondre aux arguments du camps adverse. Ce sont généralement les positions intermédiaires entre les extrêmes qui sont les plus intéressantes et qui s'avèrent les plus fructueuses.
Pour finir tout ce travail nécessite, comme pour n'importe quelle discipline, de se doter d'outils adéquats. De ce fait, la plupart des domaines de la philosophie peuvent être très techniques, ils nécessitent un apprentissage de notions et concepts qui jouent un rôle précis : il faut, comme en science, entrer dans le sujet et se confronter aux différents problèmes, aux différents arguments, pour s'en faire une bonne idée.
C'est là que la vulgarisation peut intervenir : en donnant une idée des problèmes qui se posent face à telle ou telle question, telle ou telle position, et la façon dont on a pu y répondre.
La vulgarisation est-elle une trahison ?
Une autre objection à l'idée qu'il puisse exister une vulgarisation philosophique pourrait venir cette fois non pas du public non-initié, mais des philosophes eux-même. Certains pourraient penser que la philosophie ne peut, par principe, être rendue accessible, qu'elle est trop profonde pour cela : toute vulgarisation serait une trahison. Il faut lire la philosophie dans le texte, ou ne pas la lire du tout. Car finalement un texte philosophique serait aussi une oeuvre littéraire.
Ce débat n'est certainement pas propre au domaine de la philosophie, puisque des questions similaires sur le bien-fondé de la vulgarisation, ou ses dangers, se posent aussi à propos des sciences. Pour ma part j'ai plutôt tendance à penser que ce qui se conçoit clairement s'énonce clairement, et donc est vulgarisable, et que la clarté est une vertu en philosophie. La clarté n'empêche pas d'être profond, et le manque de clarté peut aussi être une forme d'élitisme, ou bien servir à masquer la confusion.
L'idée qu'un texte philosophique relève de qualités littéraires indissociables de son contenu évoquera certainement chez les philosophes professionnels le fameux clivage entre philosophie "analytique" et philosophie "continentale" : la première, de tradition anglo-saxonne, est plutôt tournée vers les sciences et la rigueur de l'argumentation tandis que la seconde est plutôt tournée vers l'histoire de la philosophie et vers de grandes "pensées", auxquelles on peut effectivement associer un côté littéraire.
J'ai un certain respect envers la philosophie continentale et je pense que chacune de ces traditions possède ses qualités et ses défauts, voire qu'elles devraient s'inspirer l'une de l'autre, mais je me situe certainement plus dans une tradition analytique (peut-être parce que je suis arrivé à la philosophie en passant par les sciences). Et à ce titre, je suis sans doute plus enclin à penser qu'une vulgarisation de la philosophie est possible. Mais je ne doute pas que des philosophes "continentaux" peuvent penser la même chose.
Peut-on être neutre ?
Mais quelle que soit la tradition à laquelle on appartient, il existe une autre inquiétude légitime, peut-être plus sérieuse, sur la possibilité de vulgariser la philosophie. Est-ce qu'on ne risque pas de prendre insidieusement position, dans la façon même de présenter une question ? Peut-on vraiment présenter une question philosophique de manière impartiale ?
C'est un problème qui se pose certainement plus en philosophie qu'en sciences, où les questions sont en général bien délimitées. Car justement, la philosophie ne consiste-t-elle pas à chercher à délimiter clairement les questions et les problèmes ?
Pour répondre à cette inquiétude, je ferai appel à un principe qui correspond, je pense, avec la clarté que nous évoquions précédemment, à l'une des qualités les plus importantes chez un philosophe (et qui manque cruellement à la plupart des politiciens). Il s'agit, comme l'exprime Daniel Dennett, d'être capable d'exprimer une position adverse de manière si fidèle que même notre opposant pourra nous remercier d'avoir exprimé sa position avec tant de justesse. La connaissance doit être issue d'un travail collaboratif, ce qui est impossible si l'on ne sait pas faire justice aux positions auxquelles on s'oppose pour leur opposer des arguments sérieux.
Ce principe peut donc être appliqué aussi dans une optique de vulgarisation, il n'y a là rien d'insurmontable. Si je ne prétend pas parvenir à une neutralité absolue quant aux différents débats qui seront abordés, je compte au moins m'y essayer. Le format du blog pourra y aider : il ne s'agit pas de présenter un traité en longueur, d'argumenter en faveur ou à l'encontre d'une thèse ou de présenter une vision du monde dans sa globalité, mais plutôt de donner dans chaque article une idée général et accessible des discussions et des différentes positions qui ont pu être avancées sur un sujet précis.
Mais finalement la meilleure façon de vous convaincre du bien-fondé de cette démarche de vulgarisation, c'est encore de le démontrer par l'exemple. Et c'est justement l'objet de ce nouveau blog.
Le programme...
Je compte aborder ici des questions de philosophie des sciences, puisque c'est mon domaine d'expertise.On peut distinguer, en philosophie des sciences, deux aspects principaux. D'un côté il y a les aspects épistémiques, qui touchent à la question de la connaissance : qu'est-ce qu'une théorie scientifique ? Comment les fabrique-t-on, et comment sait-on qu'elles sont vraies ? Qu'est-ce qui différencie la science des pseudo-sciences, comme l'astrologie, ou des autres disciplines en général, comme la religion ou les arts ? Y a-t-il une unité de la science (de la biologie, la physique, la psychologie, la sociologie...) ? Y a-t-il un progrès continu en sciences ? Peut-être pourra-t-on aussi aborder dans ce cadre d'autres domaines philosophiques, comme la philosophie du langage ou des mathématiques.
De l'autre côté, il y a des aspects qui touchent à la métaphysique des sciences : quelle est la nature de la réalité ? Qu'est-ce qu'une loi scientifique ? Qu'est-ce que le temps ? Qu'est-ce que la causalité ? Existe-t-il des "essences naturelles" ? Les êtres vivants ou les objets macroscopiques en général se réduisent-ils à un ensemble de constituants physiques, où y a-t-il une émergence de propriétés nouvelles ? Les aspects sociaux ou psychologiques, par exemple les valeurs, se réduisent-ils à des faits physiques ? De la même façon on pourra peut-être relier ces questions à d'autres domaines, par exemple la philosophie de l'esprit ou la philosophie morale.
Cette distinction entre deux aspects est peut-être un peu arbitraire, en tout cas elle n'est pas toujours tranchée, mais elle peut donner une idée des différents sujets qu'il est possible d'aborder. J'espère ici rendre accessible à un public non initié les développements de la philosophie contemporaine sur ces différents sujets, parfois en revenant sur des positions historiques plus anciennes, et parfois en établissant des liens avec l'actualité intellectuelle, scientifique ou sociale. Un premier billet est déjà en préparation : il est encore un peu introductif, puisqu'il concerne la question du statut et de l'utilité de la philosophie des sciences. Mais j'ai déjà d'autres idées pour la suite...
A bientôt !
Bienvenue !
RépondreSupprimerJe suis convaincu qu'un blog de philosophie des sciences est pertinent. D'ailleurs la philosophie a sa place sur les blogs de sciences, et réciproquement.
Par exemple chez moi :
http://toutsepassecommesi.cafe-sciences.org/2013/06/17/doit-on-limiter-la-recherche-scientifique/
http://toutsepassecommesi.cafe-sciences.org/2013/06/07/combien-de-changements-de-paradigmes-en-biologie/
(pas philo hard core, mais début de dialogue ?)
Et je suis bien content de voir que vous vous rattachez à la philo analytique, la philo "continentale", qu'est-ce qu'elle me les a... C'est elle qui donne mauvaise image à la philosophie auprès de beaucoup de scientifiques je pense.
Tout a fait, je pense qu'un dialogue ne peut qu'être fructueux, dans les deux sens, et effectivement ces billets sont très intéressant (même si pour ma part je m'intéresse un peu moins aux aspects éthiques, mais sur Popper et Kuhn, je comptais justement y consacrer un billet).
SupprimerPour ce qui est du fameux clivage analytique / continental... Bon je voudrais pas faire trop de polémiques, et certaines lectures "continentales" m'ont beaucoup intéressées (Sartre ou Merleau-Ponty par exemple). Mais il est vrai qu'en France on a trop tendance à assimiler la philosophie en général à cette tradition, et il est vrai également que cette philosophie est assez coupée des sciences en général, ce qui est peut-être un peu problématique quand on sait qu'il y a quelques siècles, la plupart des scientifiques étaient aussi philosophes, et inversement. Sans doute un effet de la spécialisation des disciplines universitaires...
Ou se trouve la suite de cette intéressante initiative ?
RépondreSupprimerhttp://philosophiedessciences.blogspot.fr ou cliquez sur la bannière !
RépondreSupprimerLa philosophie me nourrit, elle est un garde-fou.
RépondreSupprimerLe développement des sciences et ce que les hommes peuvent en faire me fait peur Et sans la réflexion philosophique, alors ...
Bonjour Quentin,
RépondreSupprimerJ'ai découvert votre blog il y a quelque temps et en ai lu quelques articles que j'ai trouvé intéressants. Ce qui m'a donné envie d'en lire davantage, et autant commencer par le début, voilà pourquoi j'ai lu ce premier article.
Je laisse ce premier commentaire pour saluer votre travail et pour rectifier un petit élément : Le principe que vous décrivez n'est pas "le principe de charité" mais plutôt le "steel man argument ou le steelmanning". (mot formé sur "straw man" ou "L'épouvantail" en français)
Je cite wikipedia : "The steel man argument (or steelmanning) is the exact opposite of the straw man argument. The idea is to find the best form of the opponent's argument to test opposing opinions." (https://en.wikipedia.org/wiki/Straw_man#Steelmanning)
Quant au principe de charité, il s'agit d'autre chose : "Le principe de charité est un type de compréhension des propos d'autrui qui consiste à attribuer aux déclarations de ce dernier un maximum de rationalité." https://fr.wikipedia.org/wiki/Principe_de_charit%C3%A9
Même chose en anglais : "In philosophy and rhetoric, the principle of charity or charitable interpretation requires interpreting a speaker's statements in the most rational way possible and, in the case of any argument, considering its best, strongest possible interpretation." https://en.wikipedia.org/wiki/Principle_of_charity
Bref, je vais poursuivre ma lecture de votre blog avec plaisir et peut-être laisser d'autres commentaires en chemin.
Au plaisir.
Merci pour votre commentaire ! C'est juste, j'ai modifié le texte en conséquence.
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